block note - cavité
mardi 11 février 2025, par
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Je suis entourée de récits, je ne connais pas tout de leur impact. Je ne sais pas à quel point ils me dessinent, ou me destinent, et comment ils me font raisonner, ou simplement penser instinctivement. Je ne suis même pas sûre de connaître les limites de ce que j’appelle "mon récit", autrement dit l’alliage entre tous les récits qui m’ont enveloppée, ou simplement frôlée, ce que j’ai fait d’eux et ce que je continue d’en faire au présent. "Mon récit" a tendance à se superposer à ma conscience, à qui je suis. Et comme je me trouve plutôt logique, je pense mon récit logique, et juste. Et plus je pense mon récit logique et juste, plus le récit le plus contraire au mien me semble n’importe quoi, débile, bon à jeter. Alors que chaque récit possède sa logique propre. La violence est contagieuse. Elle installe des logiques à répercutions, des armes à percussions.
"La salamandre sombra dans la mélancolie.
Elle avait voulu sortir de la cavité qui lui servait de logis, mais elle n’y était pas arrivée, sa tête se coinçant dans l’ouverture. C’est dire si l’accès de cette cavité, demeure désormais éternelle pour la salamandre, était étroit. Il y faisait très sombre, aussi. Lorsqu’elle tentait néanmoins d’en forcer le passage, elle parvenait tout juste à l’obstruer, comme un bouchon de liège, ce qui prouvait certes qu’elle s’était bien développée durant ces deux années, mais suffisait également à la jeter dans le désarroi et même dans la mélancolie.
« Quelle jolie bourde j’ai été commettre là ! »
Elle eut l’idée de nager en rond, en essayant de profiter au maximum de l’espace dont elle disposait. Ainsi font les hommes quand ils broient des idées noires. Mais le logis de la salamandre était loin d’être assez vaste pour lui permettre de tourner en rond. Tout au plus pouvait-elle mouvoir son corps d’avant en arrière et de droite à gauche. Il en résultait que, comme les parois de la cavité, toutes couvertes de vase, donnaient une sensation veloutée au toucher, elle avait fini par croire que de la mousse lui avait poussé partout : sur le dos, sur la queue, sous le ventre. Elle laissa échapper un profond soupir, en murmurant néanmoins, comme si elle avait pris une résolution : « Si on croit que je ne peux plus sortir d’ici, eh bien, on va voir de quelle idée géniale je suis capable ! »
Rien ne laissait pourtant supposer qu’une bonne idée lui pût venir.
[...]
Elle ne cessait de s’en aller puis de revenir, à croire qu’elle était incapable de volonté et ne pouvait se propager une fois pour toutes. La salamandre préférait coller sa tête contre l’ouverture de la cavité et contempler le spectacle au-dehors. N’est-il pas passionnant d’observer un lieu baigné de lumière depuis la pénombre ? Au reste, on ne voit jamais autant de choses que lorsqu’on regarde par une petite fenêtre."
(extrait de La Salamandre, de Masuji Ibusee)
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Messages
1. block note - cavité, 11 février, 21:39, par brigitte celerier
oui, salamandre