block note - ciller
vendredi 25 juillet 2025, par

Et donc, c’est le matin (j’ai raté le vol des chauve-souris qui rentraient, mais de peu) et arrivée à la page 276 du 23ème livret du livre-Vagues que j’imprime, je découvre ce que, le nez dessus, je n’avais pas vu : dans le dernier "chapitre", il n’y a que la voix de Bernard. Il s’adresse à un convive en face de lui, que j’avais placé dans la catégorie mystère, convive sans nom, interlocuteur anonyme (c’est-à-dire moi ou nous, n’importe qui), mais non : Bernard prévient au "chapitre" 5 qu’il va aller manger, qu’il a croisé quelqu’un, qu’ils dîneront sans doute ensemble, et se parlant à lui-même, il le nomme : Larpent is that man’s name. L’inconnu ne l’est pas. Ce n’est pas un changement du tout au tout, ça peut sembler juste un détail, mais ça bouge mes lignes. Les limbes d’un autrui indistinct sont moins flagrantes. Et puis, pourquoi ce nom. Larpent en anglais ne veut rien dire. Arpent, si, an obsolete French mesure of land, un mot français, arpent, une distance, arpenter, ce convive (non-anonyme) est comme une toise qui vient mesurer la distance parcourue par Bernard. Je découvre qu’il a un nom ce matin, alors que j’ai lu ce texte, et ce passage, des dizaines et des dizaines de fois, ce qui m’injecte une dose d’humilité (un peu comme ces ampoules de vitamines D à prendre régulièrement) (je propose que des ampoules d’humilité soient accessibles partout, grandes surfaces, bureaux de poste, ministères, galerie des glaces, palais machin ou truc). Ce qui est bien avec ce genre de révélation, c’est que maintenant je ne vais plus l’oublier. En fait, je ne vais plus pouvoir l’oublier, parce que c’est passé, à mon niveau, dans la catégorie évènement. Et puis, découvrir ce que j’avais sous le nez m’émerveille toujours. Cette sorte de dévoilement, la surprise de ce qui existait déjà mais que quelqu’un, ou quelque chose, une situation montre, brutalement. C’est comme un tour de magie, mais vrai, dans le sens où la magie n’est pas inaccessible ou incompréhensible. Par exemple, même si c’est moins événementiel que Larpent, je regarde Les Oiseaux autrement depuis Trois femmes disparaissent, quelque chose dans le fonctionnement de ce film m’a été dévoilé, alors que les images étaient là, même pas floues. Mais, BOUM, retournement : dernier "chapitre", celui où Bernard s’adresse à celui que je viens d’identifier comme étant Larpent : "The willow tree grew by the river. I sat on the smooth turf with Neville, with Larpent, with Baker" (etc). Dire à Larpent que dans le passé on s’est assis près de Larpent n’a pas de sens. Ou bien VW a oublié la logique de la situation, parce que c’est un être humain raisonnablement imparfait. Ou bien elle installe ce bâton dans la roue du vélo, très discrètement, le vélo ne va pas tomber mais ça fera cling cling quand la roue tournera, pour dire que le Larpent d’hier n’est pas le même que le Larpent de ce dîner final. Il y a des coïncidences ou des modifications qui me font signe, mais je ne sais plus ce qui m’a été dévoilé ce matin, ni même s’il y a eu un dévoilement, ça n’a pas de contour, mais c’est logique (C’est de l’eau dirait DFW). Ou bien c’est simple : les gens qui nous semblent proches sont des "vaisseaux scellés" dit VW, et au fond on ne sait pas qui est Bernard, un ou multiple, triomphant, démuni, ce qu’il fait ou a fait de son temps, qui il a vu, verra, toutes ses parts d’ombres qu’il ne connaît peut-être pas lui-même, ce qui fait qu’il n’existe pas vraiment de toise, de Larpent, pour en donner la mesure (ce qu’on sait, c’est qu’on ne sait rien).

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Messages
1. block note - ciller, 25 juillet, 18:43, par PdB
(entre les financiers à la pistache et les ampoules d’humilité, il y a moyen d’ouvrir un petit commerce qui, on ne peut en douter, sera fort fréquenté) (merci pour le DFW) et bonne continuation (ça avance bien,on dirait... :°))
1. block note - ciller, 26 juillet, 10:59, par c jeanney
(oui on peut créer une entreprise d’un clac de doigts, je m’occupe du logo) (un genre de smiley d’humilité de pistache fera l’affaire :-))
2. block note - ciller, 26 juillet, 06:43, par brigitte celerier
j’étais dans mon vertige entre Benard et les Larpent et le comentaire de Piero m’a fait rire.
La conclusion est que lire et relire Virginia outre le plaisir a une utilité : la fourniture de capsules d’humilité (n’en abuse pas)
1. block note - ciller, 26 juillet, 11:00, par c jeanney
oui, c’est fou, c’est vraiment la logique du "rien n’est jamais fini" en 3D :-))