block note - colliers
lundi 1er décembre 2025, par
Hier il y avait des gravelots en bandes, occupés à fouiller du bec le sable sur la portion de plage qui allait se faire manger par la mer montante. Ils étaient très rapides pour se déplacer, au point qu’en pleine course on ne distinguait plus les contours de leurs pattes, images accélérées de film. Quand la mer avançait, ils avançaient avec elle, parfois en se parlant, en se prévenant d’un cri (est-ce que c’était "je suis là" ou "fais attention" ou "par ici" ?), leurs cris étaient comme la mer, s’élevant par moments, leur silence comme une vague recule. Ils étaient là parce qu’il n’y avait personne, donc pas de chiens à fuir. Ceux qui s’envolaient montraient leurs ventres et du blanc palpitait, lumière stroboscopique, entre les deux bleus, bleu ciel et bleu de mer. Ils vivaient dans un monde parallèle à nous qui les regardions, un monde dur, avec des carcasses de jeunes homards bleus, et des coquilles d’oursins cassantes, d’une finesse de papier. On a ramassé les tendeurs élastiques noirs et leurs crochets qui servent aux sacs à huîtres, mais que les vagues détachent de force, et les huîtres dérivent, et les tendeurs viennent s’échouer, en déchets. On voyait les gravelots manger, mais on ne voyait pas quoi, des organismes minuscules que nous sommes incapables de repérer, comme nous sommes incapables de les comprendre lorsqu’ils crient. On les nomme "gravelots à collier interrompu", pour les différencier d’autres gravelots qui n’ont pas tout à fait la même robe. Aux beaux jours, ils pondent à même le sable des œufs dont la couleur imite le sol. Si un danger s’approche de ses œufs, le gravelot adopte la technique dite de "l’aile cassée", c’est-à-dire qu’il fait semblant d’être blessé pour que le danger/prédateur se dirige sur lui au lieu de foncer vers ses petits. C’est une tactique de protection très avancée pour une si petite caboche. C’est que, pour le gravelot, le danger est une donnée incontournable qu’il peut seulement dévier, pas défaire, ou éradiquer à la source. Son danger est là, a toujours été là, un paramètre, comme la marée, le ciel, la nourriture dans le sable. L’humain aussi connaît un nombre de dangers paramétriques inévitables, et d’autres évitables, mais quand un humain court on distingue toujours les contours de ses jambes et on peut voir et savoir ce qu’il mange, plastiques, mercure et autres composants chimiques exploitables économiquement. On était là, tout fragiles, à regarder les gravelots, si fragiles.
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