J’ai de très bonnes idées lorsqu’elles sont dans l’eau, je me penche, je les ramasse, petits galets qui font sens, portent des marques et circonvolutions et volutes qui me parlent, collectives, inattendues, communes, intenses, fuyantes, pleines de futurs immédiats nutritifs, et je sors mes idées de l’eau, je les confronte à l’air, c’est là que leurs couleurs pâlissent, ternes, grises et mes idées s’effondrent. Ce matin, l’idée d’un atelier collectif de récolte de paroles à partir d’une question : Quel est votre geste favori ? partant du principe qu’on est à la fois ce qu’on fait et ce qu’on voudrait faire, ça pourrait être un exercice réel, je veux dire ancré dans le réel d’une question posée réellement, posée en ligne, par mail, par courrier, dehors, à une table, sur un banc, dans un hall d’entrée, une salle de cantine, quelque part et partout, à tout le monde. Et on pourrait aussi donner une réponse imaginaire, par exemple si on se place du point de vue de la noirceur ridicule. Quelle serait la réponse, les réponses à Quel est votre geste favori ? d’un pauvre hère comme le multimilliardaire le plus riche du monde, on pourrait l’imaginer et répondre à sa place, vu que la noirceur ridicule ne répond pas aux questionnaires. Je suis prête à parier que ce serait un geste médiocre. Qui n’apporte rien à personne. Un geste autocentré et plat. Un geste de domination envieuse. Un doigt d’honneur. Un majeur levé à la cantonade. C’est là que la question de l’imaginaire, de ce qui est imaginaire, se pose, parce que je suis certaine que ce majeur levé est vrai. Et si on lui demandait Quel est votre plus grand rêve ? le majeur levé répondrait partir dans l’espace vide vers une planète morte en traînant les foules derrière moi. C’est un joueur de flûte de Hamelin sans conscience, qui ne veut pas nous débarrasser des rats ni mettre les enfants à l’abri de notre radinerie ou de nos mensonges, mais les emmener avec lui se détruire, pauvre hère qui ne veut pas mourir seul. Le problème avec mes idées chatoyantes qui sortent de l’eau et deviennent impraticables et laides, c’est que je trouve logique qu’elles deviennent laides en entrant en contact avec l’air. Je vais finir par ne plus croire que les gestes favoris, et tendres, existent, à cause des criailleries aigres de flûtes noires. Peut-être que l’écrire dans ce block note (raconter mes galets) me protège du cynisme résigné, me purge, pose les bruits désolants de côté un instant. Sinon ils hypnotisent et on ne peut plus bouger.

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