TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

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lundi 26 mai 2025, par c jeanney

Hier soir, à presque minuit, j’ai réalisé que je n’avais jamais habité nulle part, habiter au sens d’appartenir au lieu, tout comme ce lieu m’appartiendrait, habiter comme verbe réversible. C’est quelque chose, ça a été quelque chose de flottant, et j’ai aussi repensé aux destins, destins des miens, des petits graviers dans un grand courant, une gorge dans les rochers, et les cailloux assez légers pour être repoussés par un choc ou déplacés par l’eau, sans libre arbitre, soumis à la sociologie, à l’époque, et à tous les ‘il faut bien’. Ça pourrait être le début d’une chanson, ’il faut bien’. Il faut bien se coucher et, si la déesse des locations le veut, se réveiller à un endroit. J’ai cru sur le moment choisir les endroits où j’ai vécu, mais non. Circonstances, budget, obligations, places disponibles, je n’ai habité qu’’en faisant avec’ (autre chanson) et surtout forte du soulagement d’avoir un toit. Je n’ai pas choisi. Je ne me suis pas projetée dans un lieu, je n’ai pas désiré vivre dans tel ou tel environnement rêvé, je n’y ai pas rêvé. Je ne suis pas d’un milieu qui rêve de réaliser un rêve. Je fais partie d’un milieu qui rêve, deux ou trois secondes, qui en sourit, et qui reprend là où il en était. Ça doit être une grande liberté de pouvoir rêver d’habiter quelque part en sachant que c’est du domaine du possible, que c’est réalisable, valable. Cette sensation n’existait pas chez les miens, et pas plus aujourd’hui. Ça ne m’empêche pas, ça ne m’a pas empêché d’avoir "mes lieux", mais le possessif "mes" n’accapare pas, c’est juste une expression rapide pour se faire comprendre de quelqu’un à qui on raconterait les paysages qu’on a connus et/ou aimés, par la force des choses, de force. Et puis je crois que si j’avais accès à mon lieu rêvé magiquement je n’en ferais rien, je ne saurais pas par quel bout le prendre. Quoi après ? Et ce serait sans doute une caricature de lieu rêvé, un cliché, à cause des images venues et ingérées sans y penser, et j’aurais peur d’y être ’à demeure’, collée dedans, la mouche sous un verre retourné, car puisque je suis limitée par mon corps et mes pensées, mes rêves aussi sont limités par des délires finis dans un corps fini. Choisir son lieu rêvé et le construire parce que ça a été ou c’est possible (financièrement, sociologiquement), est-ce que ce n’est pas oublier la puissance déterminante du hasard, le hasard du petit caillou posé dans tel ou tel environnement propice — la fierté d’habiter un lieu, la fierté du lancer de dés, d’être né là ou là. C’est peut-être pour ça que je ne me sens pas habiter un lieu, ni être habitée par lui, parce que je n’ai pas la fierté d’être fruit de mon hasard.

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

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