block note - île
vendredi 29 novembre 2024, par
Pierre Clastres, parlant d’un chasseur dans Chronique des indiens Guayaki : « si quelqu’un en ce jour a des chances de rencontrer et de flécher quelque gibier, c’est bien lui. Probablement même répondrait-il, si je l’interrogeais, qu’il est certain de revenir avec des prises. Non qu’il se considère meilleur chasseur que les autres : un tel sentiment est absent de la psychologie guayaki. Certes, on entendra chaque Indien affirmer avec force : "Cho rö bretete, je suis un grand chasseur", mais jamais il ne dira : "Je suis le meilleur de tous", et moins encore "Je suis meilleur qu’un tel ou un tel". Si tout chasseur guayaki s’estime absolument excellent, aucun en revanche ne songera à se comparer aux autres, et chacun admet de bonne grâce que la perfection puisse être une qualité également partagée de tous. » Je me demande ce que ça fait de naître et d’apprendre à vivre là où la perfection est partagée et non comparée. Je me demande ce que c’est, vivre sans comparatif, sans échelonnage. Je crois que je ne peux pas le penser. C’est au-delà de mes capacités mentales. Peut-être parce que je ne peux pas le vivre. Dans une archive audio, Pierre Clastres toujours : « la pratique politique du chef (guayaki) [...] nous renvoie au langage, aux femmes et aux biens, c’est-à-dire les trois principaux éléments dont la circulation définit précisément la société, l’être de la société, c’est-à-dire que si la société c’est le lieu de l’échange, cet échange s’opère essentiellement à trois niveaux, au niveau des femmes, au niveau du langage, au niveau des biens. » Je me demande ce que ça fait de regarder le fonctionnement d’une société en tant que « il », de voir le « elle » comme une donnée égale à celle de l’arc, du panier, du gibier. Une femme, le sort d’une femme, la façon de regarder une femme, cet être humain spécial parmi les humains, sachant que tous les humains (histoire de l’Homme, musée de l’Homme), lorsqu’ils sont normaux, sont des ils, ça vient de loin. Penser en « elle », peut-être, ce serait se dire devant une société autre : si la société c’est le lieu de l’échange, cet échange s’opère essentiellement à trois niveaux, au niveau du langage et des récits partageables, au niveau des biens de survie et de leur distribution, au niveau des interactions dans le groupe. Je ne sais pas si on peut avoir la conscience de quelque chose sans l’avoir expérimenté soi, à l’interne, ni ce qu’aurait vu Pierre Clastres s’il avait été femme. Je me demande ce qu’on comprend, des autres, de soi, qui n’est pas usé ou élimé par les chemins répétitifs de ce qu’on a toujours pensé, parce qu’expérimenté. Il y a le philosophe Alain Deneault qui parle de l’Inouï. Il dit que nous sommes certainement en ce moment en peine de penser, prévoir, réagir à ce qui se dessine, entre les guerres et la disparition radicale de la vie, parce que c’est totalement inouï. « Les concentrations [de fragments de plastique par km² dans certaines zones de la Méditerranée] dépassent toutes celles jusqu’alors décrites dans la littérature. » Je me demande comment nous pouvons penser le non-encore vécu ni pensé. Je pense à ce beau livre de Linda Lê, au titre tiré d’un vers de Baudelaire, Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau. Il faudra bien trouver, je crois. On en sera peut-être capables. « Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre, Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons »
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Messages
1. block note - île, 29 novembre, 19:06, par PdB
La détresse est grande : la responsabilité ("responsable mais pas coupable" : le sang contaminé années 90 - le prion le covid (on avait un truc avec le genre tu te souviens le sars cov 2 et ces nouveaux lexiques...) qui nous échoit - les enfants de nos enfants - une île entre le ciel et l’eau - oui tout ça : avancer aussi quand même - oui
2. block note - île, 30 novembre, 00:14, par brigitte celerier
pour les femmes monnaie d’échange ce ne serait pas du nouveau mais du retour au. passé et pas pour toutes