TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - jouer

lundi 21 avril 2025, par c jeanney

Il va bien falloir interroger les gens qui décident des trucs. Je me pose toujours la question du à quoi on sert et pourquoi. Et même pourquoi servir, ou comment servir autrement. Par exemple ce matin très tôt, quand le ciel commençait à s’éclaircir, j’ai servi à suivre les vols erratiques des chauves-souris qui font une dernière boucle tâtonnante avant de rentrer dormir. J’étais la seule dans la cour à pouvoir les regarder et à être en capacité d’en rendre compte, d’abord pour moi, comme réception et stupéfaction face au vivant, ce prodige, et ensuite ici, pour qui veut, en posant l’idée de tenter de saisir la folie et la richesse imprévisible de ces vols de la même façon erratique. Le problème de l’utilitaire c’est qu’il existe, et que de toute façon il va bien falloir y entrer, un peu comme ces jeux d’emboîtements pour enfants où le carré doit entrer dans un trou carré et l’étoile dans la forme évidée d’une étoile. Tout doit servir à quelque chose, y compris ce qui ne sert à rien, ou qui ne sert pas à servir, mais à ouvrir une nouvelle forme évidée, au contour non encore net, dans lequel faire entrer une forme en train d’être découpée, erratiquement. Par exemple, autre exemple, je voudrais interroger un professeur émérite de muséologie à qui on a posé des questions : «  La réception que le public a de l’œuvre est avant tout, selon lui, le fruit de son milieu social. "Les fées ne se sont pas penchées sur vous pour vous accorder le don de voir les belles choses. L’art est le fruit de l’éducation. Il faut apprendre à apprécier une œuvre, et pour ce faire, il faut être soutenu, aidé." Et si vous vous surprenez à être déçu lors de la contemplation du tableau mythique, ne renoncez pas : "Il s’agit aussi d’une science de la répétition. La première fois que vous avez bu du champagne, vous n’avez pas aimé. Ici, c’est pareil", insiste le spécialiste. Avant de conclure : "La culture, c’est un effort, pas un ressenti. » Je voudrais l’interroger pour essayer de comprendre pourquoi il est si déprimant. Pourquoi l’effort. L’effort pourquoi. Pourquoi la sueur, la besogne, quelle expiation se cache là, quelle robe de bure et pieds en sang, quel imaginaire de fouet sur les épaules, souffrir, effort, preuve de l’effort. Pour être au-dessus du lot peut-être, du côté des moines érudits sachant écrire quand le reste n’est qu’une masse malléable qui s’agenouille pendant le sermon pour remercier. Et pourquoi cette métaphore, celle du champagne, que représente le champagne, à quels affects, à quelles images fait-il référence. Sûrement pas aux vols des chauves-souris. Et donc, que met-il sous le mot culture, qu’est-ce que la notion de culture pour ce professeur émérite de muséologie, en tout cas celui-là. J’ai le mince espoir que tous les professeurs émérites de muséologies ne soient pas sur cette ligne, parce que je suis incroyablement naïve, et optimiste. J’oublie le tri, le pré-tri pour en arriver là, à ce poste, toujours la question de à quoi on sert et pourquoi. Je regrette que cet homme ne soit pas plus franc, plus cru, avec son idée de culture séparant le bon grain de l’ivraie, le champagne du gros rouge d’ouvrier qui tache, la gloire aux méritants, et plus ils souffriront plus ils seront récompensés. Les ouvriers de la Commune buvaient beaucoup, mais il faut dire que l’eau était viciée, problèmes d’hygiène. C’est une autre forme de culture, Le Temps des cerises. En même temps, j’exagère. Il est franc. Il dit que le champagne n’est pas bon en soi, naturellement, et que c’est un apprentissage de lui trouver bon goût. Le mot apprentissage me renvoie aux images d’enfants dans des filatures, c’est ma culture, je n’y peux rien, je l’ai apprise sans souffrir, en lisant, en regardant, en étant stupéfaite des prodiges du vivant, des structures du vivant, comme qui salit et qui nettoie, et pourquoi ce n’est pas forcément la même personne. Ce que j’ai le plus aimé dans La ville Louvre de Nicolas Philibert, ce sont les visages des manars à la fin, manars, manœuvres, manœuvriers, et aussi voir le tableau du tricheur à l’as de carreau porté sous le bras, comme ça, en bleu de travail. C’est toujours le même thème : savoir, savoir pour comprendre, savoir pour dominer, pourquoi savoir. Et dans l’histoire de la domination, quelle nouvelle forme évidée où faire rentrer quelle figure neuve.

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Messages

  • Très souvent c’est plus le soir avant la nuit juste avant et dans le jardin (ça s’appelait la cour avant : les gens y venaient pour l’apéritif et c’était le moment pour chacun.e de rentrer chez soi) mais là c’est plus vers dix heures le soir à la tombée du jour on l’a appelée Joséphine elle tourne fait des grands huits parfois il y en a deux ou trois d’où sortent-elles on ne sait pas elles passent reviennent je me souviens pendant le confinement elle voulait là elle passait puis à la nuit disparaissait... oui la chauve-souris
    ça ne sert à rien
    non mais j’aime l’évoquer
    Merci à toi de m’y faire penser

  • (Oh trop fort de réussir à en nommer une) (je ne suis pas assez rapide ou physionomiste, ou alors c’est elles qui vont trop vite anonymement :-))(merci Piero)))

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