TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - les nouvelles

jeudi 11 décembre 2025, par c jeanney

Les mots sont malmenés en ce moment, comme celui d’innovation qui sous-entend celui de progrès. Mais qu’est-ce qui se passe quand on place dans la catégorie innovation ce qui n’est que la reproduction de dominations anciennes. Le mot création aussi est mal en point. Créer, ce devrait toujours être avec autrui. Je lis dans Poesibao la citation de Stéphane Bouquet, "la poésie est ce qui veut parler à, appeler, faire venir, donner, recevoir", et je remplacerais bien, ou plutôt j’augmenterais le mot poésie avec le mot création. Je lis la citation de Deleuze dont je ne connaissais que le début [1]. Je lis le compte-rendu d’Hubert Guillaud du livre d’Arshin Adib-Moghaddam, The myth of good AI : a manifesto for critical Artificial intelligence. Cette innovation qui répète des actes et pensées racistes, misogynes, totalitaires, n’est pas une nouveauté. La nouveauté, ce devrait être que le plus grand nombre d’êtres vivants ait la belle vie (vécue sans discriminations ni violences), et que cette belle vie ne soit pas seulement celle de fils de milliardaires suprémacistes. Ce serait réellement très neuf. En ce moment, le monde est un match de catch, et le ring est soutenu par des ossements empilés au futur. Joan Baez dit "ma voix est un désastre", je l’ai enregistrée pour plus tard, comme quelque chose qui compte, autant que mes colifichets, le porte-clés en pâte fimo colorié par mon fils à l’école maternelle, le cœur de laine rouge tressé par ma fille et accroché sur le rideau, le porte-revues de ma mère dont l’osier est fendillé et que je ne me résous pas à emmener à la déchetterie, le Passée par ici de Maryse Hache, et les cadeaux, les souhaits offerts, la belle vie est faite de cadeaux. Après avoir lu tout ceci ce matin, j’ai deux solutions : soit me rencogner en soupirant, en craignant, en m’inquiétant, soit créer, fabriquer quelque chose pour autrui qui passe par tous les autruis en moi, et qui ne soit pas mâché par la domination, toujours conservatrice. La domination ne crée rien, elle perpétue le pré-existant de la colonisation et de l’exploitation de ce qui est appelé richesses. Le mot richesse lui aussi est tout malmené et troué. J’ai la richesse d’observer la lutte tranquille des moineaux qui descendent tous des dinosaures, une étendue de temps spectaculaire quand une vie dure un claquement de doigts.

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)


[1"Et deuxièmement, être de gauche, c’est être par nature – ou plutôt devenir, c’est un problème de devenir -. C’est : ne pas cesser de devenir minoritaire. (…) Or, la majorité est par nature l’ensemble qui, a tel moment, réalisera cet étalon, c’est-à-dire l’image sensée de l’homme adulte, mâle, citoyen des villes. Si bien que je peux dire que la majorité, ça n’est jamais personne. C’est un étalon vide. Simplement, un maximum de personnes se reconnaissent dans cet étalon vide. (…) Alors, les femmes vont compter et vont intervenir dans la majorité ou dans des minorités secondaires, d’après leur groupement par rapport à cet étalon. Mais à côté de ça, il y a quoi ? Il y a tous les devenirs qui sont des devenirs minoritaires ! Je veux dire : les femmes, ce n’est pas un acquis. Elle ne sont pas femmes par nature. Les femmes, elles ont un devenir femme. Du coup, si les femmes ont un devenir femme, les hommes aussi ont un devenir femme. On parlait tout à l’heure des devenirs animaux. Les enfants, il ont un devenir enfant. Ils ne sont pas enfants par nature. Tous ces devenirs-là sont des devenirs minoritaires.
(…) L’homme mâle adulte, il n’a pas un devenir. Il peut devenir femme, alors il s’engage dans les processus minoritaires. La gauche, c’est l’ensemble des processus de devenir minoritaires. Donc, je peux dire, à la lettre : la majorité c’est personne, la minorité c’est tout le monde. C’est ça, être de gauche : savoir que la minorité, c’est tout le monde. Et que c’est là que se passent les phénomènes de devenir."

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