block note - les yeux des mouches
vendredi 8 novembre 2024, par
La plupart du temps, je ne sais pas de quoi sont faits les outils que j’ai en main. En cherchant bien, je peux retracer les origines au mieux, mais ça reste virtuel. Nous nous acclimatons parfaitement bien au virtuel. Je sais qu’il y a des métaux rares dans le téléphone que j’utilise pour noter des phrases, dans l’ordinateur que j’ouvre pour écrire, et en m’informant je peux avoir accès à des termes comme « minerais de sang », qui est une formulation glaçante, mais je ne ressens pas, je ne vis pas corporellement la boue, les mains abîmées, l’esclavage, et j’ai tendance à me croire au chaud, dans une société pérenne, où les choses se font comme elles se font. Les produits que j’utilise sont transformés, assez pour masquer les abattoirs et les conditions d’élevage. Le visible apparaît souvent par effraction, dans un fleuve calme, aux remous sous contrôle. Si on se penche dessus c’est sidérant, c’est tissé dans les photos paisibles que je prends, intriqué dans des gentillesses, messages, encouragements postés, et pour rester tout simplement debout, il faut faire comme si, prétendre que, ne pas se poser de questions trop lourdes. Je ne sais pas comment et par qui est fabriqué mon sac, je peux me renseigner jusqu’à un certain point, mais pas plus, et je serais peut-être rassurée par un maquillage vertueux, un logo. On vit un peu comme des fantômes, non ? des spectres non nocifs qui roulent sur de l’asphalte dont ils ne savent pas qui l’a posé. En fait, je suis plus virtuelle que je ne crois, avec mon peu de contact à ces événements souterrains, et comme je ne sais même pas comment fonctionnent les cellules de mon propre corps, je parle en méconnaissance, Méconnaissance pourrait être un nom de pays. C’est peut-être la seule chose tangible. Ces blocs de méconnaissances se montrent clairement quand il s’agit d’étoiles ou de matières noires, là, je sais que je ne sais rien. Mais je crois savoir pour le reste et organiser mes idées en fonction d’une réalité, mais combien de guillemets à ce mot, et combien de commentaires de cette réalité, écoutant la radio, ouvrant un article de journal, non équipés de ces guillemets pourtant indispensables. Je ne sais pas comment fonctionnent les yeux des mouches, tout marquetés de gris brillant, ni les miens.
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Messages
1. block note - les yeux des mouches, 8 novembre, 23:39, par Will
Merci Christine. — Voilà un texte qui a fait naître cette petite pensée (qui apparaitra sur mon blog), sur le mode de l’évocation :
Du Block Note de Christine Jeanney, cette réflexion sur nos conditions de vie, comme un contrepoint furtif et bienvenu au silence imposé d’un film de Nikolaus Geyrhalter, une échappée belle à "Notre pain quotidien" ou "Terre", ou une rêverie préalable aux visions cauchemardesques d’"Homo sapiens".
1. block note - les yeux des mouches, 9 novembre, 11:25, par c jeanney
Merci Will ! autant de liens tentaculaires à ouvrir pour moi, je ne connais pas ce réalisateur (mais ce que j’en perçois vite fait en trois clics me parle énormément))) (la magie de communiquer-coopérer-échanger, ça n’est pas rien)
2. block note - les yeux des mouches, 9 novembre, 15:39, par arlette
Intéressant Merci cela permet de rebondir chacun à sa façon de traduire le quotidien selon sa vie et l’humeur du jour en équilibre
1. block note - les yeux des mouches, 10 novembre, 11:59, par c jeanney
Merci Arlette (savoir qu’on est tous différents même dans nos capteurs profonds, comme la perception des couleurs, la sensibilité à la douleur, etc, ça devrait nous rendre humbles) (normalement))))