block note - livret
vendredi 25 avril 2025, par

Je me fais un cahier des charges : mon livret ne doit pas être fragile, difficile à manipuler, il faut qu’il y ait un peu de couture dedans, parce que coudre est devenu très important pour moi, je ne sais pas si ça s’appelle coudre ou broder, ce n’est pas vraiment coudre car il n’y a rien d’utilitaire, mon fil et mon aiguille ne servent pas à faire tenir deux morceaux de tissu ensemble, à raccourcir, à ourler, et ce n’est pas non plus broder puisque que je n’ai pas de but réellement esthétique, ce qui m’intéresse c’est le geste, la boucle, la reprise, le retour, le traversé, le déroulé, la suite, l’épaisseur, et j’aime énormément que ce que je couds ou brode ne serve à rien. J’ai l’impression de venger quelque chose, venger quelqu’un, quelqu’une plutôt, quelques unes des grands-mères industrieuses, il est drôle cet adjectif pour la besogne qui contient l’industrie dans le recoin de la cuisine et l’usinage à la mesure d’un corps, et je me venge de tous ces documentaires sur les métiers d’art qui magnifient le travail des petites mains sans s’arrêter sur leurs conditions de vie, je me souviens d’avoir vu un atelier de chaussures sur mesure avec toute l’exigence manuelle requise à l’œuvre et sans compter les heures, et le client entrait, autre corps, autres vêtements, autre posture et langage différent, sans conscience d’être fuselé, doré, d’assujettir l’entour, l’entour très largement, gens et espaces, ça n’est pas comparable disait-il, le confort est extrême, et est-ce que les petites mains avaient accès au confort qu’elles offraient dans la fierté du travail accompli, non. L’équipe de documentaristes, preneurs de son, cameramen, scripts, réalisation, rédaction du texte lu en voix off, n’y voyaient aucune violence, pourtant eux et moi nous regardions la même figure, les mêmes marques d’ascendance condescendance aveuglement du client qui s’en irait ensuite golfer pendant que les couseuses des semelles mesurées exactement iraient une fois leur journée terminée reprendre les gestes du ménage, récurer, repasser, nettoyer, comme si c’était normal, bien nées, mal nées, et tout le discours sous-tendu, il faut bien que certain nettoient les piscines des autres disait Anita quand un élève ne lui semblait pas très futé. J’ai détesté Anita, violemment, il y a trente ans, et en cousant n’importe quoi n’importe comment je bisque piedenèze toutes les Anita existantes. Donc il me faut, cahier des charges, un peu de couture pour mon livret. Je vais aussi, suivant l’idée de Vanessa Bell, traiter une page à la fois. Je crayonne. Je voudrais chaque page unique, mise en gros plan, focus, et entourée, choyée.

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Messages
1. block note - livret, 26 avril, 10:13, par PdB
(y’a du boulot - avec toutes ces anita que porte la terre...) en tout cas bon courage pour la suite du jardin...
1. block note - livret, 28 avril, 10:10, par c jeanney
oui la prolifération des anitas n’aide pas :-(( (merci Piero !)
2. block note - livret, 27 avril, 10:56, par caroline diaz
C’est beau. Ça me fait penser à Nina (notre plus jeune, étudiante à Arson), qui a édité et relié son mémoire à la main.
1. block note - livret, 28 avril, 10:12, par c jeanney
Ah mais j’adore ! (et ça ne m’étonne pas de Nina, je dis ça sans la connaître, mais je connais un peu l’état esprit dans lequel elle a dû naviguer enfant)))) (merci Caroline !)