block note - maurizio
mardi 7 octobre 2025, par

Chambre 63
La mère esquisse un geste avec son bras valide, le droit, en direction du mort. Elle semble vouloir faire quelque chose, mais elle râle d’être empêchée par le fauteuil roulant. La fille se demande, puis demande à voix haute : mais qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu veux faire ? Pourquoi ils lui ont croisé les mains ? répond la mère, il n’est pas croyant. Elle s’agite sur le fauteuil. Pourquoi ? Mais tu ne vas pas lui décroiser les mains, maman ! Le travail des techniciens de croiser les mains n’a pas forcément une signification. Si, s’obstine sa mère.
Edith Msika, Chambre 63 (sur Poesibao)
ce qui me donne envie d’écrire la chambre 19, et si chacune nous écrivions nos chambres numérotées, celles où nous visitons, embrassons, faisons rire et caressons la main, et la main sur la joue, et le rangement des photos dans l’album toujours reporté par peur de réactiver les souvenirs poignants, pourtant si simples. Dans la chambre 19 le mort a quatorze ans, sa carte d’identité encadrée dans de l’alu, et quarante ans, accroupi devant des pigeons, et soixante ans, les lunettes épaisses et fumées devant le photomaton. Pas besoin de desserrer ses doigts, on a passé ce cap toutes les deux. Il n’y a presque plus de place sur le mur, plus de place sur la table, à cause de tous les colifichets d’amour. Un infirmier a peint la banane de cattelan, sauf qu’il a barré le prix, 6,2 millions de dollars, et ajouté un tampon rouge "SOLDÉ". Ma mère a acheté le tableau, pas pour des raisons esthétiques ni militantes ou conceptuelles, mais parce qu’elle se souvient de sa propre mère qui vendait des bananes rue lecourbe. Et si chacune d’entre nous écrivions les symboles que nous chérissons, même si nous nous trompons, avec de bonnes raisons de se tromper. La banane de cattelan soldée, je vais la voir, accrochée en face du lit où elle ne se couche plus seule. Je vais y saisir un monde d’écholocations et d’ondes et de sens attachés à ma personne, à ce que je lis, écoute et vois des trajectoires, des décisions prises par Ida Lupino ou Lygia Pape. Elle est entourée d’autres courbes qui dessinent un autre territoire, avec du tissu à vendre au mètre et des appartements insalubres. Le fait que nous nous rencontrions chambre 19 active d’autres remous. C’est comme des rivières de couleurs qui se mélangent et se séparent, s’étoffent, j’aimerais avoir les capteurs sensoriels qui saisissent à quel point ces courants sont chauds, pas seulement enveloppants mais forts, si forts qu’on est tirées et attirées et happées toutes les deux, et le dessin total n’est pas lisible mais peu importe, nous fluctuons et nous bougeons encore, et je serre très fort ma tête mes yeux mes bras pour m’empêcher de penser ’jusqu’à quand’. ’On s’en fout, jusqu’à quand’ me dit la photo d’Ida que m’a donné ma fille, aux écholocations mystérieuses, flamboyantes.

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Messages
1. block note - maurizio, 7 octobre, 18:46, par brigitte celerier
je te lis et je suis happée
2. block note - maurizio, 7 octobre, 18:57, par PdB
Je vais faire une chambre 32 - taleur - elle sera aussi (je crois) dans la livraison amulette de Françoise Breton et ses villes en voix - je vois ça - on devrait toutes en faire une tu as raison : parfaitement - àtaleur oui