Le problème c’est le rétrécissement, l’impossibilité de penser sentir plus loin que soi, par essence. La langue étrangère de l’oiseau, de l’autre, de l’avalanche. Celle de la nuit sans contours, et de petites lueurs qu’on devine, qu’on voudrait stables, mais même le mot nuit est personnel et impuissant. Autant un espace de liberté que de solitude souffrante, nuit des prolétaires, nuits des cachots de Saydnaya, nuits de réquisition des bâtiments vides quand le mur est tombé, etc. Je ne sais rien de la nuit des miens, cette tribu qui m’a précédée et dont l’existence me donne la capacité d’écrire le mot nuit. Chaque tribu est un îlot qui côtoie l’autre imparfaitement, la tribu de mon temps se frotte à celle de ma géographie, à celle de ma classe sociale, à celle de mon périmètre d’activité, à celle de mes capacités physiques, Umwelt. La conscience de n’être que soi, et pas plus, n’est pas partagée équitablement, et c’est un problème politique quand le parleur, le chef, le en-charge-de, le leader, le puissant n’a aucune conscience d’être lui, et limité, aucune humilité de n’être que lui, ni césar ni cléopâtre. Se penser soi passe par des mythes qui enferment et font agir, irremplaçables pulsions de vie. Beaucoup de mythes sont ternes, comme celui de la domination, si mince, on ne peut pas dominer la nuit, on ne saurait même pas dominer le mot nuit, c’est une donnée à prendre en compte quand on ouvre la bouche. La domination par l’argent, par le savoir, par la peur provoquée sur autrui, c’est minuscule. Dans d’autres tribus, [ici mettre le nom d’un bernararno ou d’un membre du gouvernement] serait juste ce qu’il est, c’est-à-dire quelqu’un d’aussi fini que les autres, aussi perdu que les autres dans ses conceptions rétrécies et momentanées du vivre, le torse lourd de colliers de coquillages, fier d’entasser ses colliers quitte à voler ceux qu’il convoite sur des cadavres. Ils mourront seuls, tous ces gens. Il paraît que bolloré croit en un au-delà. Si son paradis est de la taille de son monde, alors une tête d’épingle de couturière. Tout ça pour ça. Et pourtant il aura tant nui, avec sa nuit issue du verbe nuire. De mon côté, je regarde comment réaliser une reliure copte ou une reliure à vis, et c’est beau.

.

(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</