TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

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mercredi 19 février 2025, par c jeanney

J’aime beaucoup l’idée de s’attacher à un détail, à ce qui semble être un détail, et tenter d’en tirer tous les fils. Dans la newsletter des Glorieuses il y a ce matin un entretien avec Estelle Ferrarese dont le livre explore les sanglots. Ça débouche sur les heurts, l’impuissance et les émotions, l’espace autorisé pour les exprimer. L’impuissance ça me parle en ce moment. L’autre jour, la voiture inutilisable, ses voyants clignotaient comme un sapin de Noël à cause d’un bug. L’impuissance de se déplacer du point a au point b sans le pouvoir d’agir, dans l’incompréhension de savoir réparer faute de comprendre comment ça marche. Je vois passer sur bluesky une citation de Carl Sagan, je ne sais pas si elle est exacte, mais elle semble logique compte-tenu de sa biographie : "We live in a society exquisitely dependent on science and technology, in which hardly anyone knows anything about science and technology." [1] Si je fais la liste de tout ce que j’utilise sans savoir comment ça marche la liste est longue, du frigo à l’ordinateur. Pour l’électricité, le téléphone, je dois demander de l’aide s’ils font défaut. Ma nourriture aussi je ne sais pas la produire. Quel est mon rayon d’action. Je fais des choses, j’accomplis des gestes sans avoir la moindre idée des mécanismes dessous. Je dois déléguer. Pour déléguer il faut un minimum de confiance. Je peux faire confiance aux proches. Moins c’est proche et plus la confiance diminue, dans le sens où elle n’est même plus convoquée, je ne me dis pas que je fais confiance au constructeur de ma cafetière, ça ne me vient pas à l’idée. Si j’y pensais pour chaque geste accompli je vivrais en paranoïa. Si je n’y pense pas, je ne sais pas dans quoi je vis. Dans quelque chose de confortable, qui ne pose pas de questions tant qu’il fonctionne. J’ai quelque part chez moi un livre sur l’histoire des objets, je ne le retrouve pas. Par exemple d’où vient la tente, comment est née la planche de surf (dans mes souvenirs). Je repense aussi à l’histoire de la sauce tomate, un thème tentaculaire qui met au jour des trajets commerciaux, des façons de cultiver le sol, des interactions entre pays, des contrats, des dominations, des exploitations, et des gens qui ramassent les fruits comme dans le film L’île aux fleurs. Chaque objet à interroger déploie une toile. Je ne sais pas comment s’appelle cette envie de fouiller ces toiles, ni même s’il y a un nom pour ça. Ça commence par la curiosité, le désir de clarté peut-être, de ne pas se laisser brinquebaler en impuissance. Peut-être qu’il y a des sanglots muets et digérés, quand on se heurte et qu’on l’accepte. Comment ça vient, pourquoi on a en soi cette avidité de comprendre, ou pourquoi on ne l’a pas, je ne sais pas. Pourquoi on ne s’arrête pas à la réponse, et pourquoi au contraire on passe à autre chose en certitude. Pourquoi on vise des certitudes, pourquoi on s’en méfie. Qu’est-ce que ça donne dans la vie quotidienne. Pourquoi on a envie de réfléchir et de creuser et pourquoi on s’en fout, ça vient d’où [2]. C’est un marqueur très fort je crois, entre qui avance droit et qui se perd dans des dédales [3].

Dédale et Icare, relief de la Villa Albani, Rome

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • crois que sommes nombreux en effet à ne pas savoir (moi suis ignare en toutes sciences et adepte du merveilleux... vais jusqu’à faire des pas de côté par rapport aux modes d’emploi que ne comprends pas ou que n’ai pas envie de comprendre et je regarde si ça marche, surprise chaque fois.. mais pas franchement envie de savoir, je t’admire)

    • "adepte du merveilleux" ça pourrait être une démarche scientifique quand on étudie un tardigrade ou une comète :-)) (oui, les modes d’emploi sont par nature contrariants avec leur air de vieux prof en blouse grise)) Merci Brigitte :-))

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