TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - must

dimanche 19 janvier 2025, par c jeanney

Je suis bien embêtée dit le lapin bleu en regardant la rose bleue de Twin Peaks. Je ne suis pas une grande connaisseuse de David Lynch. J’ai surtout vu un documentaire, diffusé sur une chaîne qui n’existe plus : on le suivait, pas à pas, dans la préparation d’une exposition, en Italie je crois, et c’était assez fabuleux de le voir travailler l’expo elle-même, c’est-à-dire de le voir s’investir dans la façon dont son travail serait présenté, mais au présent, comme l’activité continue d’un travail encore en cours, et pas comme la présentation d’un travail passé, formolisé. Par exemple, ce qui m’avait frappée, c’est quand il arrivait dans une salle équipée logiquement d’un extincteur, question de sécurité. Il s’était assis devant l’extincteur sur une chaise pliante, et il s’était mis à noter sur son carnet des idées, des traits, des schémas, comment intégrer l’extincteur dans son exposition, comment faire avec cette partie prenante de l’objet qui est là sans qu’on l’ait voulu, par obligation. Ça disait quelque chose de son rapport aux termes qu’il voulait considérer, une sorte de dé-hiérarchie, une place à occuper "au milieu de", et j’y suis très sensible. C’est ce qui fait que je connais mieux le David Lynch des arts plastiques que celui du cinéma ou de la télévision. J’ai voulu retrouver son travail, le réactiver dans ma mémoire visuelle, et j’ai "pris" (chipé, volé) The air is on fire, une sorte de catalogue d’exposition de 2007. Même si j’avais pu l’acheter je ne l’aurais pas fait, parce c’est édité par la fondation cartier. Je suis bien embêtée, dit la rose bleue, de voir par quels tuyaux tout ça passe, des tuyaux sales, des tuyaux dégoûtants. Qui veulent s’acheter une prestance. Le mécénat comme domination invisible et séduisante, dirait Bourdieu. Je suis toujours très en colère contre bernararno, une colère que l’écriture du texte sur lui chez error n’a pas purgée. Très en colère de voir que cette marge, ou considérée comme marge dans le travail de Lynch, est récupérée, c’est un peu comme avec Varda, dont les Veuves de Noirmoutier sont aussi capturées par cette "fondation" (en ce cas, le mot "fondation" signifie "agence publicitaire pour entreprise commerciale qui se réjouit de voir le monde tel qu’il est, même bouffé de déchets qui empoisonnent l’air et le sol, tant que les affaires roulent, et qui s’achète un blanchiment prestigieux en rançonnant l’esprit des autres") et pour Varda aussi, c’est de son cinéma dont on parle le plus. D’un lien à l’autre, je tombe sur le travail de Hans Haacke, Les must de Rembrandt. J’ai envie de poser ces images ensemble, celles tirées du travail d’enquêteur de Lynch dans The air is on fire et cette sorte de mausolée de Haacke, qui date de 1987. L’année 1987, c’était il y a longtemps, mais le miroir est le même, l’air est en feu. Des pompiers privés protègent un centre commercial. Comment s’en sortir. D’abord, comment penser le "comment s’en sortir". Pas que sortir de la pollution ou de la prédation, comment penser ce très ancien toujours si neuf et qui ronge, qui ronge même la mémoire, puisqu’on pense que le feu vient seulement d’apparaitre. Ces images peuvent servir de mantras ou d’outils, je ne sais pas.

David Lynch, 4 planches tirées de "The air is on fire"

Hans Haacke, “Les must de Rembrandt”

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • et il peut le faire, transformer en publicité, tout y compris dans un genre qui n’a pour lui d’être d’encore plus grande diffusion, la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques et chaque remise de médaille.. o ne oeut en soirtir, quand tu vas dans un musée, quasiment tout, les Rembrandt, les Watteau, les Vinci sont des commandes ou des récupérations des princes, financiers ou de l’église..

  • Merci beaucoup pour ce texte, Christine, à commencer par cette description d’un documentaire sur Lynch que je ne connaissais pas (mais on imagine assez bien, et quel plaisir, d’imaginer sans voir, aussi).
    Lynch est une source sans fin de réflexion. Elephant man est repassé hier soir à la télé, en hommage (je l’avais vu à sa sortie, en 1980, ça remonte !). C’est un film de commande, et quand tu connais un peu les ficelles d’un scénario tu vois très bien à quel point il s’y conforme (il a 33 ans, c’est son 2e film, le premier était expérimental. Brusquement, Mel Brooks, qui le produit, décide que ce sera lui le réalisateur, et l’impose) mais à quel point aussi, par moments, il réussit à "trouer" la trame pour y mettre ce qui, plastiquement, l’intéresse. La narration traditionnelle fonctionne merveilleusement bien, le noir et blanc est magnifique, les acteurs exactement au bon endroit, mais c’est dans ces "trouées", aux moments où il va s’intéresser à un détail, à des gens qui travaillent, une horloge, une matière que tu restes là, bouche bée.
    Elephant man est donné pour son film le plus grand public et je suis contente d’avoir (re)commencé avec lui, pour mieux mesurer, ensuite, les écarts gigantesques que Lynch se permettra avec la narration hollywoodienne.
    Par ailleurs, justement je pensais à Varda (et à Akerman) en lisant des articles sur Lynch : toute leur vie, malgré la reconnaissance, les récompenses, etc, jusqu’au bout ces gens ont dû chercher de l’argent pour mener à bien leurs projets, et souvent ne pas en trouver, abonner des idées en cours de route, etc. Je ne sais pas s’il est possible de trouver un réalisateur ou une réalisatrice à la fois expérimental.e et très reconnu.e, symboliquement, qui ait pu faire autrement qu’en passer en partie par le mécénat.
    (J’entends bien ta colère.)
    (En fait, je suis en train de prendre un grand plaisir à écrire un peu long dans tes commentaires, au lieu de mettre un mot sur les réseaux sociaux !)

  • mais au fond aussi, cette marge récupérée fait vivre le travail - l’appropriation est indigne, cette façon avide de s’emparer des vies des artistes abjecte ; mais par exemple Luis Bunuel commençait son Chien andalou avec, entre autres certainement, l’argent de la comtesse de Noailles ou quelque chose ; c’est du cinéma (le réalisateur ne dispose pas du statut d’artiste mais c’est un salarié,le plus souvent, en fin de travail il aura sa fiche de paye laquelle pourra lui ouvrir des droits de chômeur notamment), c’est vrai mais il n’y a pas de difficultés plus grandes pour un.e peintre, un.e chanteur.euse (pour les femmes c’est plus difficile de toutes les manières : ça changera ? peut-être,on l’espère... : c’est une autre bataille) (on remarquera que l’inclusive commence cependant pratiquement toujours par le masculin - ce que j’en dis) ou un.e écrivain.e auteurice ou danseureuse que pour un.e ouvriér.e qui cherche du travail - le chiffre en bas de la fiche de paye est moins élevé voilà tout - c’est probablement parce que je n’ai (ni ne revendique d’ailleurs) pas le statut d’artiste que j’écris ce que j’écris (après c’est assez trouble en moi mais il y a aussi dans le même ordre d’idée je crois bien ce qui va de l’œuvre à la vie même de l’artiste : je suis allé voir une exposition (fondation Berggruen : le type était un mécène de Picasso au début je suppose etc.) et il y avait plein de monde, déjà, mais je suis passé devant une trentaine ou une quarantaine de toiles dudit Picasso sans les regarder trop (à cause du statut qu’il a pris assez récemment, de la violence qu’il faisait subir à celles qui partageaient sa vie je suppose - je ne sais pas comment dire : partage vraiment ?) mais que sais-je de celle de Paul Klee d’Henri Matisse ou d’Alberto Giacometti ? (ça se saurait ? peut-être...) en tout cas on a à y réfléchir. Merci à toi

  • Brigitte, on est bien d’accord toutes les deux sur le diagnostic :-)) Maintenant, je me dis que même si c’est une pratique ancienne on peut au moins râler pour qu’elle cesse (il y a sûrement d’autres façons de faire fonctionner une société, avec l’art comme une entité préservée d’être transformée en autocollants publicitaires pour lvmh)

  • Anne, justement, je crois bien que pendant que tu écrivais ton message je regardais le documentaire sur Arte qui montre bien à quel point D Lynch est hors norme ! (et je suis complètement d’accord pour que les échanges via les commentaires de sites prennent de plus en plus de place par rapport aux réseaux sociaux ! On peut les utiliser en bol d’air aussi, on fait ce qu’on veut puisqu’on est une bande de jeunes :-))))

  • Piero, oui, parfois j’aimerais bien en savoir moins (je ne peux plus regarder une toile de picasso sans penser à cette phrase (une de ses femmes ?) « il peint avec le sang des autres » (et donc je ne creuse pas tout, de peur d’être infiniment déçue (( (et donc je serais assez d’accord pour qu’on s’organise selon les idées de Bernard Friot ou Jacques Rancière, tout ce qui est du domaine artistique prendrait une valeur autre) (si ça se trouve ça arrivera dans un siècle ou deux, quand les coccinelles seront mécaniques (smiley aux yeux exorbités)

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