TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - nos

mardi 24 juin 2025, par c jeanney

Je vais être obligée d’en passer aux mains avec VW3D, c’est-à-dire d’imprimer, de découper par fragments, et d’agencer manuellement, ou du moins de tenter d’agencer manuellement et visuellement. Je commence à connaître ces fragments par cœur à force de les déplacer sur mes documents libroffice (que je ne sais même plus comment appeler, "test 7", "test au km du 22 06", parfois en calant l’heure de la journée, "essais colonnes 10h23", "...11h01") et ça commence toujours très bien mon affaire, je veux dire sur les trois premières pages j’assure, je suis là, moi et mon test 32 nous sommes en phase, et puis ça se détraque, ce que je fais devient sage ou plat, ou mou, inerte sans étincelle, sans sens, sans pulpe, sans rien. Chaque fragment individuel vaut quelque chose, aucun d’entre eux n’est rien, mais la façon dont ils sont posés déposés, placés déplacés, dont ils se répondent, fait que des silex sont frottés ou pas, et souvent, peut-être à cause de l’écran qui défile à la souris, j’ai l’impression de passer à côté, de rater les frottements, comme quand on veut ouvrir quelque chose de précis avec ses gants, l’hiver, et on n’y arrive pas, les doigts patinent. Dans mon cas, la solution est d’ôter mes gants en les tirant avec les dents et d’agir les mains nues, matériellement, c’est-à-dire en découpant et plaçant déplaçant mes fragments dans un espace visuel donné, que je puisse voir en totalité. Je vais imprimer les fragments sur 3 couleurs de papier différentes pour créer des frottements entre eux. J’ai du blue tack et un mur libre (enfin, que je peux libérer). Je vais agencer VW3D sur mon mur. C’est marrant, "mon mur", ce n’est pas mon mur, ici c’est une location et puis je ne l’ai pas construit, c’est comme ces fragments à imprimer découper agencer, ce ne sont pas "mes" fragments, ils ne sont pas à moi, je ne les ai pas créés de toute pièce partant de rien, je ne les possède pas, je ne peux posséder à la limite que leur agencement, qui est "mon" agencement, et encore, la part d’autrui dans ce que je peux dire ou penser ou faire depuis que je suis née est d’un pourcentage délirant (cf l’enfant sauvage), ce qui ne me désole pas, ce qui ne me désole jamais. C’est peut-être ce qui m’est vraiment personnel, ne pas posséder. Avoir conscience que rien n’est à soi entièrement, ni son langage, ni ses proches, et pas même son corps qui contient des péripéties inconnues, un taux de créatinine, du fer, des minéraux, des globules de diverses couleurs, des micro-organismes, des battements incompressibles automatiquement générés par autre chose que ma consciente volonté de posséder. Il y a un moment où réaliser que tout nous échappe est bon, mieux que ce fatigant bras de fer avec des éléments dont nous ne sommes ni comptables ni responsables, ni uniques possédants. L’idée de ne pas être unique est singulière, c’est-à-dire qu’elle n’est pas majoritairement encensée ni encouragée, on veut toujours nous vendre un parfum produit à la chaine qui ne serait rien qu’à nous. Nous sommes collectivement encouragé·es à être une personne individuelle, capable de se démarquer des autres, alors qu’il n’y a eu autour de nous et depuis la naissance que des mains et des corps différents des nôtres pour nous aider à vivre, grandir, inventer et créer, ce qui fait que je ne ne suis pas seule avec mes fragments, quoique que je fasse d’eux nous sommes plusieurs. Je compte sur les couleurs des feuilles/fragments pour m’indiquer une sorte de corrélation entre ici et là, des réponses, je cherche des réponses et ce sera une réponse qui sortira, par les couleurs, il y aura aussi l’instinct et le hasard, parce que par hasard ça fonctionne, je veux dire que le hasard est plus méticuleux et incisif que moi quand il approche tel item de tel autre malgré moi, et qu’il en sort "une invention". Ce que je peux décider, c’est suivre ou bifurquer. Pour le reste, je n’ai en main que nos périmètres, qui sont vagissants, minuscules, assignés à ce que je-suis/nous-sommes, et forcément plus grands d’avoir été irrésistiblement étoffés l’un par l’autre.

.

(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • ces affaires de possessif sont épuisantes - cependant tout est à nous, le hasard comme le reste - tout - mais en tout cas sculpter les phrases, les couleurs, les morceaux de papier les fragments oui et encore oui... merci à toi

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.