block note - oui
mardi 15 juillet 2025, par

J’ai de plus en plus envie d’écrire au quotidien du quotidien depuis le quotidien. Par exemple ce matin le bruit d’une shampouineuse, deux filles à sandales dorées, une tête de gnome ailée dans la pierre d’un fronton, une vitrine poussiéreuse avec dedans un bonhomme lego qui campe devant une tour eiffel d’un mètre de haut complètement rouge. Un arbuste brésilien dont j’oublie le nom, ses tiges qui sont plutôt des feuilles allongées mises bout à bout, ce qui lui donne une forme d’algue au fond des mers. Le moineau qui nettoie ses plumes en se tortillant comme un chien gratte ses puces. Ce qui est à proximité. Je crois savoir pourquoi ce matin j’ai soif de matière proche, d’écriture ras-la-terre. J’ai écouté hier une conférence, et l’homme disait ’voilà, en une seule phrase ça se voit, on lit une phrase et on dit "ça c’est un écrivain"’. Cet homme parlait de "gens merveilleux", qu’il avait bien connus, mais dont il ne donnait qu’un aperçu réduit — taille, vélo ou pas, couleur des cheveux ou degré de célébrité. Et il était là, avec sa petite machine à décréter le digne d’intérêt, "ça c’est un écrivain", comme un oracle vaudou qui sait reconnaitre un organe malade à travers l’opacité de la peau. Comme un vieux diamantaire, capable de soupeser la qualité d’un atome de mot, au grain près, et d’en donner la valeur exacte sans se tromper. J’ai l’air d’être en colère peut-être, mais ça n’est pas le cas, au contraire, je suis plutôt apaisée d’identifier ce qui n’est pas valable pour moi. Dire non à quelque chose est une façon de dire oui à une autre. J’ai écouté cet homme jusqu’au bout et avec beaucoup d’attention et même de l’empathie (il n’a tué personne, il n’a pas la main sur les conditions de vie de quiconque, il ne coupe pas de subventions, n’envoie pas de jeunes vies au combat, ne supprime pas de vaccins ou d’aides alimentaires, c’est juste un homme comme ça, comme d’autres, qui veut se démarquer un peu, avec des critères de prestance, de l’entre-soi et du hasard) (le hasard des petits fours, réceptions, prix, légions d’honneur dîners en ville). En fait, il agit comme un point de repère spatial à forte teneur en violence symbolique. Il m’aide à regarder ailleurs, et plutôt loin de lui, dans la direction qui me va, mentalement et corporellement. Les plumets blancs des pistils qui volent. La gentillesse. La bonhomie de conseils pratiques, et des petits mots comme "moi aussi les chapeaux de paille me font une tête de clown". Les remorques garées à cul dans les bennes à gravats. Le petit moulin sauvé des poubelles et placé dans une collection de nains de jardin, tous sauvés eux aussi, à l’entrée de la déchetterie. La dame qui nettoie les jardinières de la mairie qui peste sur son escabeau. Les voix aux accents espagnols, italiens, pour demander son chemin. La vieille dame (enfin, une dame plus vieille que moi) presque tout le temps debout, mains sur les hanches, au rond-point du airbnb, à la sortie du passage qui mène au parking. Le matin, l’après-midi, elle est là, debout. Elle regarde les voitures, les passants. Mains sur les hanches. Pas forcément colérique, ni désespérée, ni enjouée. Elle scrute. Ça a l’air important, crucial même, alors c’est ça qu’il faut écrire.

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Messages
1. block note - oui, 16 juillet, 06:58, par brigitte celerier
"Dire non à quelque chose est une façon de dire oui à une autre." écouter ou lire cela avec empathie, oui
1. block note - oui, 16 juillet, 09:38, par c jeanney
oui, ça m’a rappée quand j’étais adolescente, quelqu’un m’avait di que je disais non à tout, alors que moi j’avais l’impression de construire du oui avec ces nons :-))) (merci Brigitte))
2. block note - oui, 16 juillet, 07:34, par PdB
(en lisant le "ça c’est un écrivain" m’est apparu immédiatement jean d’ormesson - que la paix caresse son âme) (après il a dû lire la phrase (car il sait lire) puisqu’elle était écrite : donc logiquement c’est un écrivain qui l’écrivît - pourquoi pas, d’ailleurs bizarrement ou plus subtilement, une écrivaine ? - j’ai vu quelqu’une qui lisait "La guérison de Rose Gold" dans l’autobus, elle portait des lunettes à bordure rouge - sur le balcon, au premier étage d’un immeuble assez neuf de la rue, un type disait"alors non vazy jlui dis que c’est pas pour ce week-end mais l’autre non mais oui vazy jlui dis... et toi les vacances alors comment ça se passe ? tranquille ?" (je prends les paris sur le fait qu’il portait des tongues et un bermuda - en tout cas pour la barbalakon, c’était oui) ...
1. block note - oui, 16 juillet, 09:39, par c jeanney
ah c’et très drôle, ce n’était pas d’ormesson dans le poste mais un autre écrivain très ormesson-compatible, même lignée (une fratrie) (ou un boysband, c’est selon :-)) (merci Piero )))