block note - place
mercredi 19 mars 2025, par

C’est une question idiote mais je me demande au moment d’écrire ce block note, le matin, si je ne préfère pas écrire ce qui va arriver qu’écrire ce qui est déjà arrivé. C’est idiot car écrire ce qui est déjà derrière soi le décale dans le temps, dans le temps de la lecture, vers le futur. C’est toujours en train de venir. Les mots d’une personne morte ne disent pas sa mort noir sur blanc, mais plutôt sa vie noir sur blanc. En tout cas je préfère écrire ce qui me travaille dans l’idée du lendemain, l’idée du "ce n’est pas encore là", et c’est idiot, parce qu’écrire le passé est à faire, et donc "ce n’est pas encore là". J’ai entendu un artiste écrivain expliquer qu’il voulait se débarrasser de ces petits mots comme donc, comme en tout cas, comme à peu près, comme je me demande, comme au contraire, ou mais, et je ne comprends pas vraiment pourquoi. Il en parlait comme de mots liés au personnel, au soi, et son désir était de débarrasser ses textes de ce soi, d’y traquer ce soi pour le nettoyer. Parce que ce serait plus beau sans. Je crois qu’il a cité le mot parce que parmi les mots à taillader, éjecter. C’est très conflictuel finalement, comme façon d’écrire. Ou c’est très enveloppe-protectrice, armure et bouclier à présenter, sans la faille entre les jointures, les charnières des genoux ou des coudes où les mots fragiles du soi se voient. Je suis sans doute très inconsciente de ce danger, personnellement ça ne me fait pas peur, les donc, les mais, les parce que, les comment, ces petits mots assez grossiers, au sens de charnels finalement, faisant partie de soi, et peut-être que cet écrivain voulait monter plus haut, était plus exigeant, visait un but plus désincarné, et si ça se trouve il projette sur ce désincarné des qualités d’universel. Peut-être qu’il pense que le soi ne touche que soi, au plus près de soi, et que s’éloigner de soi parle au plus large, au plus grand nombre, à l’entité "personne" et pas à la "petite personne" qu’est son soi ou le soi d’à côté. Il y a une logique dans cette logique, je peux le comprendre même si je ne la suis pas. Au fond je trouve ça très arrogant de viser le sans soi. C’est comme ne vouloir jamais éternuer ni dire qu’on a mal aux dents. Un désir d’ordre ou de domination sur le commun, le sans brillance, les veines bleues à l’intérieur du bras ou l’éponge à vaisselle, aloirs que donc, mais, au contraire, parce que, c’est justement ce qui m’appelle.

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Messages
1. block note - place, 19 mars, 20:03, par brigitte celerier
le s&ns soi me séduit parce que je n’en suis pas capable (le fait d’omettre le je comme j’e ai l’habitude, je soupçonne que c’esr au contraire une façon de le mettre au centre de tout) mais ça n’interfère pas quand je te lis, les objections ou l’acord sans réserve en suivant ce que tu tisse ou brode ne viennent éventuellement qu’après
1. block note - place, 27 mars, 09:29, par c jeanney
c’est très juste Brigitte, le "je" qui prétend n’être pas là est parfois omniprésent, royal (c’est très compliqué ces tirettes de bretelles à tirer :-)))
2. block note - place, 20 mars, 08:32, par PdB
(il voulait monter plus haut que quoi, cet écrivain ? que son derrière ?) ce genre de trucs fait un peu penser aux mots interdits de l’autre cinglé d’outre-atlantique (cette outre qu’il faudrait crever) ou à tous ces fascismes qui veulent s’emparer de la langue pour la faire leur - elle ne leur convient pas - il leur faut la bannir, la défigurer, l’évincer - moi je suis d’accord avec ces mots-là aussi, rugueux peut-être mais bruts - je lis un livre où l’auteur abuse un peu du "au demeurant" et ça m’amuse - pourquoi se priver ? - mais pour en revenir au début de cette note du block, on est toujours en retard sur ce qu’on veut écrire je crois bien... c’est peut-être pour ça qu’il faudrait ne pas avoir d’a priori sur ce qui va venir - on écrirait alors au demeurant et d’abord pour soi...
1. block note - place, 27 mars, 09:30, par c jeanney
Ah merci Piero : " on est toujours en retard sur ce qu’on veut écrire", ça peut faire une broderie parfaite, je vole ta phrase :-))))