block note - t comme trump
vendredi 26 septembre 2025, par

J’essaye de comprendre pourquoi je suis happée par ce que fait trump, je crois que c’est parce que ça a tout à voir avec la fiction, c’est toujours la fiction qui commande, mais avec lui le pouvoir de la fiction en action est poussé à un point XXL, comme une photo aux couleurs saturées ou surexposées, comme une caricature, comme une émulsion chimique qui met en lumière une propriété dormante. D’abord il pose le problème de la notoriété, sa notoriété qui est un poison. Chacune de ses prises de parole est observée intensément, malgré sa pauvreté. Ce sont des déclarations sans socles, sans explications, sans mises en perspective. Le vocabulaire est minimaliste. Ce matin, en réponse à une question, il répond "cela n’arrivera pas". Il ne dit pas pourquoi. Il ne dit pas comment. Il n’articule pas de concepts. Il est lui-même une donnée existante et incontournable, comme la météo, et il ne se justifie pas. Il est. Tout ce qui n’est pas lui est mauvais. Il fait arrêter ou limoger ce qui le contredit. Il déclare "j’ai mis fin à sept guerres" pendant un discours de quarante-cinq minutes. Il est. Personne ne se lève pour lui dire que ce qu’il dit est faux, ou qu’il n’est normalement autorisé, selon les règles communes, qu’à une prise de parole de quinze minutes. Car il sélectionne les règles. Ses règles sont comme lui, elles sont. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de règles hors ses règles. Il n’y a pas d’autres règles, kidnapping, on les a embarquées au poste et cadenassées dans les sous-sols. Si la règle commune dit quinze minutes par discours, son discours en fait le triple. Si la règle commune dit qu’une arrestation par des forces policières doit être respectueuse de certains droits, il envoie une milice parallèle et cagoulée procéder à des arrestations, sur des bases incertaines, sans preuves à l’appui. Si la règle commune dit que ce sont les gangsters qui doivent être arrêtés, il fait arrêter le laveur de carreaux, la femme de ménage, qu’on enferme on ne sait où, même si la règle commune a décidé de l’existence de lieux de privation de liberté connus, répertoriés, questionnables mais légitimes administrativement, et recensés. Les gens qui sont arrêtés ne sont pas recensés. Ils ne sont plus pistables. Il ne font plus partie de l’existence commune, au sein de règles communes. Il n’y a plus de preuves à l’appui. Il n’y en a pas besoin. Dans un monde normal on ne devrait pas prendre au sérieux ce que dit trump (’j’ai mis fin à sept guerres’), tout comme on ne prend pas au sérieux le bout de chou qui dit ’mon papa est le plus fort, je vais monter dans une fusée et les météorites, pfiou pfiou, ratatatatata !’ en courant bras écartés dans le salon. Mais on le prend au sérieux, c’est sérieux. Les fictions de trump veulent manger les autres fictions, grignoter les fictions de promesses protectrices et de lois communes, les fictions douces qui offrent de quoi interroger le réel avec espoir, preuves à l’appui. Comme Jachère de Philippe Aigrain, et beaucoup d’autres. Je les place tout autour de moi. Je crois au balancier. Les fictions sont comme les gens. Vivantes, elles peuvent tomber, et mourir aussi. La fiction qui disait que voyager en train rendait stérile est morte. Le jour où les fictions de trump et de son équipe d’acolytes fascinés mourront, on pourra raconter qu’il était le genre de gars qui parlait à sa main et qu’on appelait "le fou du bus". En attendant, les fictions douces et prenantes, comme celles de soigner et nourrir tout le monde, poussent en nombres. Si on ne sait pas où les trouver, c’est qu’elles ne sont pas empoisonnées par la notoriété, en toute logique.
une illustration de Roxane Lecomte pour Jachère

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
Messages
1. block note - t comme trump, 26 septembre, 18:52, par brigitte celerier
"une photo aux couleurs saturées ou surexposées", "une caricature", "une émulsion chimique qui met en lumière une propriété dormante"... "une donnée existante et incontournable", c’est tout lui
mais oui heureusement "Les fictions sont comme les gens. Vivantes, elles peuvent tomber, et mourir aussi."
en attendant il nous fascine oui... résistons