TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - tuyau

lundi 6 janvier 2025, par c jeanney

Il y a quelque chose qui m’est inaccessible, c’est l’assurance de faire quelque chose d’important. Je crois que plus on donne de l’importance à ce qu’on fait, plus cela se répand, les autres acquiescent, c’est-à-dire que l’importance se répercute petit à petit, une marche, une autre, en gradins, cela prend corps. L’importance devient vraie. La chose devient vraiment importante, spacieuse même. C’est comme un clou planté, un très gros clou. Une fois assuré, il devient évident qu’il existe, même sans avoir été vu. Il devient rare, singulier. La singularité parlée du clou lui donne une coque brillante et épaisse, épatante. Le clou existe à cause de l’importance première qu’on lui donne dès le départ, avant même qu’il existe, avant même de penser à le planter. Cette assurance (de faire quelque chose d’important) est une grâce. Elle fabrique les proportions. Elle imprime le relief. C’est peut-être ça, la confiance. Je possède le contraire de cette assurance. S’il me vient l’idée d’un clou et que je la trouve bonne, je sais qu’elle sera remplacée, balayée, déjà par moi et les aléas de mes circonstances, ensuite par la vie en général, et que ce sera peu à peu recouvert d’une gaze légère et flottante, une sorte de vague de fond, la disparition induite, l’opacité en route qui se propage, de la poussière qui vole dans les tuyaux. Comme je crois, je pense, je ressens, j’ai la certitude que tout est poussière qui vole dans les tuyaux je ne peux pas planter de clous, j’oublie au fur et à mesure ce que j’ai pu créer, qui devient comme les photos de soi enfant retrouvées dans un vieil album, qui sont à la fois nous et une autre personne, autonome, éloignée. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas l’impression de faire quelque chose d’important, même à mes propres yeux. Par contre, je fais très sérieusement ce non-important. J’y accorde beaucoup d’attention, beaucoup de gravité et je centre mes journées sur lui, entièrement, émotivement, réflexivement, et même fièrement (pendant que la mésange mésange).

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

Messages

  • Je suis d’accord avec toi pour penser que les choses considérées comme importantes le sont forcément, au départ, pour celle ou celui qui les crée. Sans cela, il est très difficile d’arriver à persuader les autres (les inconnus) de l’importance de ce qu’on produit, noyé dans la masse. Et je me mets dedans (les autres, les inconnus). Car nous sommes, nous les humains, généralement contents d’avoir un avis sans faire trop d’efforts, sans dépenser trop d’énergie (je n’ai qu’à penser au nombre incalculable de fois où je me suis fait influencer, me suis sentie influencée, et à quel point c’est déroutant, quand on se retrouve devant une oeuvre sur laquelle personne n’a jamais émis d’avis. Brusquement, c’est l’aventure). Par contre, je pense que ce que tu fais est important, et que tes textes, pour parler d’eux, se passent de la façon dont tu les considères, toi, pour arriver jusqu’au lecteur. Le problème, c’est "simplement" d’arriver jusqu’à lui, et d’accepter qu’ensuite, il reste dans le silence.

    • Merci Anne, oui tu as raison, "arriver jusqu’à lui", jusqu’au texte, c’est la préoccupation (et aussi le laisser "être", ce texte, parfois ça veut aussi se retirer un peu, faire moins acte d’autorité) (ou parfois non). Après, il y a une question d’"assise" et je constate que je ne suis pas bien assise^^, mais ça ne me rend pas triste, en fait j’examine ça comme une donnée, un contexte, et même une logique (je crois que j’écris ce que j’écris justement parce que je n’ai pas l’assurance que c’est important) (on est tous toutes une mosaïque terrible de positions face à la création) (c’est ça qui est beau d’ailleurs))))

  • je ne suis pas d’accord avec ton "par contre" - je sais que c’est une affaire contemporaine de choses et mots qu’on dit un peu comme ça sans le savoir mais là (un recensement opéré ailleurs est sur le WIP ou le TEC) : c’est important, les mots qu’on dit : ici ce n’est pas "par contre je fais très sérieusement..." (je ne veux pas donner de leçon ou quoi que ce soit d’un jugement) : c’est très sérieusement que les chose se font, très - prendre les choses au sérieux même si ce sérieux-là parfois nous étouffe aussi - mais cependant comme toi poussière(s) dans les tuyaux, oui (on sait qu’on voisine avec d’autres poussières et "on a confiance en l’avenir"comme dirait Aznav () hein...

  • la notion d’importance est très relative. Et puis pourquoi ne ferait-on que des choses importantes ? pour les autres ou pour soi ?
    on fait, on créée, c’est déjà tellement... on suit notre poussière dans le tuyau, on l’assemble, la découd, la ré-aspire pour la disperser à nouveau, et c’est ça qu’on doit faire avec beaucoup de concentration, et parfois on touche là où l’on n’aurait jamais cru...
    et les mots en particulier ont tellement de sens !
    un grand salut au passage...

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