block note - velours
vendredi 22 août 2025, par

« Ma mère dit : "Ça, c’est vraiment une bonne idée." Elle examinait un bout de velours noir qu’elle rangea soigneusement ensuite dans un tiroir. On imaginera sans peine l’âge que j’avais alors si j’ajoute que pendant des années après cette petite scène, j ’ai cru qu’une "idée" était un morceau de velours noir. » (Chassés de la lumière, James Baldwin)
Si je ne m’empare pas de l’exercice du block note tôt le matin, je le rate, c’est-à-dire qu’aucun autre moment de la journée ne lui convient, il glisse et il disparaît. Si j’arrive à le coincer, je peux poser dedans les questions principales du jour : le progrès s’il existe, le libre arbitre, les trouées dans la perception ou la compréhension, les certitudes induites et les envois postaux. Je me pose aussi des questions esthétiques, par exemple pourquoi j’ai, jusqu’ici, été attirée par les couverture sobres, minimalistes des livres (celles des éditions de minuit par exemple, style blanc cassé, rien que le titre et le nom de l’auteur-trice), pourquoi dans mon esprit c’était synonyme de sérieux et/ou d’intelligence et/ou d’élégance et/ou de "bon goût", quelles œillères j’avais. Je les supporte de moins en moins (ces couvertures). J’y vois maintenant du "chasse gardée" ou du "ici domaine privé", et surtout une forme d’entonnoir pour l’œil, et la pancarte "ceci est de la littérature", qui jette silencieusement et sans paraître y toucher un grain de mépris sur des livres autres, vulgaires, en plumes multicolores, en flocons, en tressages vifs, en bonbons fuchsias, en tags. Si un livre n’interroge pas ce que c’est que la laideur, est-ce qu’il vaut le coup ? Ce qui est beau dans ce qu’écrit James Balwin, ce qui est proprement merveilleusement beau sonde la laideur. Et puis, la laideur pour qui ? La situation de chacune et chacun compte, et elle m’a fait préférer les livres à couvertures sobres, mais je vieillis, ou je grandis, parfois j’ai l’impression d’être la girafe photographiée par Juliette Mezenc pour mes todolistes, avec son voile de cellophane sur les yeux, qui croit voir mais prend le flou pour la réalité. La broderie de bayeux va sûrement s’abîmer un peu plus, mais la pétition pour la sauver est avalée par du patriote bien urticant. Dès qu’on se sent propriétaire de quoi que ce soit, c’est cuit. Il y a une clochette verte à l’extérieur, violette à l’intérieur, qui était présente depuis plusieurs jours dans la cour, je la découvre dans le fouillis du solanum, c’est une bonne métaphore pour dire que ce qu’on ignore existe sans nous et qu’il y a des trajectoires secrètes à recevoir, des idées à envisager autrement, comme l’amour en tant qu’acte politique, et qu’une fois qu’on les a vues, on ne peut plus les dé-voir.

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Messages
1. block note - velours, 22 août, 18:33, par brigitte celerier
avançant dans ma lecture, mon petit cerveau s’emplissait de ce que j’avais sous les yeux (gardant ce qui avait précédé comme socle) alors j’en reste à cette fin qui devrait être évidente (vais la digérer) : "il y a des trajectoires secrètes à recevoir, des idées à envisager autrement, comme l’amour en tant qu’acte politique, et qu’une fois qu’on les a vues, on ne peut plus les dé-voir."
1. block note - velours, 25 août, 09:08, par c jeanney
(n’empêche (je découvre l’eau chaude), mais dé-voir est impossible, il n’y a même pas de verbe pour ça :-) (merci Brigitte))
2. block note - velours, 23 août, 07:15
(je lis dans wik que sa mére se prénommait Berbis et que leurs dépouilles ou leurs restes ou leurs poussières voisinent aux us) (à JB) (ça me plaît) (les todolistes sont un beau moment...) (et c’est pareil pour moi pour les journaux : seulement le matin tôt - sauf contre-ordre - sinon ça foire...)
1. block note - velours, 25 août, 09:11, par c jeanney
Berbis, quel prénom (d’un seul coup il me semble fabuleux) (je cherche en ligne, il n’existe pas, on me propose d’en savoir plus sur le patronyme Berbis, la famille Berbis, mais pas sur le prénom) (on est peu de choses quand même) (merci Piero)))