J’avais commencé à broder une pierre trouée, juste pour le plaisir de faire, et puis elle est tombée et elle s’est fendue sur sa pointe, mais le fil déjà tiré et noué a empêché que les morceaux se séparent, c’est peut-être un bon signe. J’ai consolidé le petit manteau à l’aiguille, maintenant personne ne pourrait deviner que c’est brisé à l’intérieur. Je lis Mon vrai nom est Élisabeth et j’ai le sentiment d’assister à une enquête sur la faille, à la recherche des brisures et d’une certaine façon à la fabrication de leur enveloppement serré, pour que ça tienne. Pour que ça tienne, tout est dans tout. Le soin porté, aux femmes, aux enfants, aux animaux. J’écoute quelqu’un dire que nous sommes des chasseurs capables d’éprouver l’empathie, et que beaucoup de nos actes chercheraient le pardon de nous-mêmes pour nos chasses, étant chasseurs et empathiques simultanément, en tant que groupe, et je ne suis pas d’accord, toujours à cause de ce nous qui aplatit l’image. Je crois qu’il ne s’agit pas des mêmes personnes, celles qui chassent ne sont pas celles qui éprouvent l’empathie. Cela ne sert peut-être à rien de séparer ces tendances, c’est peut-être une façon d’accentuer l’incompréhension, une frontière infranchissable entre égorgeurs et soignants. C’est peut-être aussi une façon de rendre à chacun, chacune, sa "grande affaire" . Accompagner une vie ou l’arrêter. Caresser une vie ou la trancher. L’espace est un grand plateau carré, avec des gens en équilibre dessus, et comme il tangue, certains, certaines, glissent et tombent en dehors du plateau, comme est tombée ma pierre trouée. Je crois que ce sont toujours les mêmes qui tombent, les chevreuils, les Betsy, les Antonin Artaud. Rendre à chacun sa misère, rendre à chacune sa fierté. Entre le groupe de nous qui chassent et le groupe de nous qui compatissent, il y a l’interstice du refus, du sentiment d’horreur de voir agir ceux qui saccagent. Enfourner dans le grand sac du nous saccageurs et saccagé·es rend acceptable les anéantissements. Pour réparer, il faut au moins pouvoir repérer ce qu’il y a à recoudre. "Réparer", "repérer", je n’avais pas remarqué qu’une seule lettre change. Adèle Yon parle de la colère, sa colère. Je crois qu’on peut recoudre par colère, et ça tient. C’est ironique comme certains gestes sont synonymes de douceur (coudre, soigner), alors qu’ils peuvent être lestés d’une colère franche, et si tenace qu’elle n’a même pas besoin d’être démonstrative.

.

(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)