TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

JOURNAL DE TRADUCTION DES VAGUES #WOOLF

journal de bord des Vagues -102 ["car il me manque la grâce du corps et le courage qu’elle donne"]

vendredi 27 mai 2022, par c jeanney

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(journal de bord de ma traduction de
The Waves de V Woolf)

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 le passage original

‘But when you stand in the door,’ said Neville, ‘you inflict stillness, demanding admiration, and that is a great impediment to the freedom of intercourse. You stand in the door making us notice you. But none of you saw me approach. I came early ; I came quickly and directly, here, to sit by the person whom I love. My life has a rapidity that yours lack. I am like a hound on the scent. I hunt from dawn to dusk. Nothing, not the pursuit of perfection through the sand, nor fame, nor money, has meaning for me. I shall have riches ; I shall have fame. But I shall never have what I want, for I lack bodily grace and the courage that comes with it. The swiftness of my mind is too strong for my body. I fail before I reach the end and fall in a heap, damp, perhaps disgusting. I excite pity in the crises of life, not love. Therefore I suffer horribly. But I do not suffer, as Louis does, to make myself a spectacle. I have too fine a sense of fact to allow myself these juggleries, these pretences. I see everything — except one thing — with complete clarity. That is my saving. That is what gives my suffering an unceasing excitement. That is what makes me dictate, even when I am silent. And since I am, in one respect, deluded, since the person is always changing, though not the desire, and I do not know in the morning by whom I shall sit at night, I am never stagnant ; I rise from my worst disasters, I turn, I change. Pebbles bounce off the mail of my muscular, my extended body. In this pursuit I shall grow old.




 mes commentaires et questionnements

-But when you stand in the door,’ said Neville, ‘you inflict stillness, demanding admiration, and that is a great impediment to the freedom of intercourse.
lorsque Jinny arrive, plus rien d’autre qu’elle n’existe, mais d’une certaine façon Neville ne croit pas en son pouvoir
si Jinny est un monde en soi (« Je n’imagine rien hors du cercle que mon corps trace. Mon corps avance devant moi, comme une lanterne dans une rue sombre, il tire les choses une à une de l’obscurité pour les placer dans un rond de lumière. Je vous éblouis ; je vous fais croire qu’il n’y a rien d’autre. ») elle n’est pas le monde de Neville
il n’a même pas besoin de la contrer ou de s’en défendre, ils évoluent tous les deux dans deux espaces différents, c’est naturellement que Neville refuse l’autorité de Jinny
j’avais d’abord traduit you inflict stillness, demanding admiration par « tu imposes l’immobilité en exigeant l’admiration » mais il y a une pesanteur dans cette formulation et j’ai besoin que ça fuse, Neville s’échappe, il glisse comme du savon (ce qui se vérifie dans la suite du paragraphe), aussi je remplace « tu imposes l’immobilité » par un « tu nous figes » plus immédiat
and that is a great impediment to the freedom of intercourse
« grande entrave », « grand obstacle » ne me vont pas (à la vue, à l’oreille) je cherche à tourner la phrase pour me débarrasser du « grand », ou le faire exister autrement, et j’arrive à la solution « ce qui entrave toute liberté des relations »
- My life has a rapidity that yours lack
j’avais d’abord écrit « Ma vie possède une rapidité que la vôtre n’a pas » mais c’est bancal, le verbe posséder est trop lourd, et il se frotte à « ma vie » bizarrement en français
et même si c’est bien yours , donc « votre vie », ce couple « ma vie → la vôtre » me semble pesant
je ne peux pas remplacer « ma vie » avec une expression autre (du style « j’ai une rapidité »), donc je choisis de gommer le « vôtre » et je remplace l’article par « cette », il me semble que ce que à quoi j’aboutis (« Ma vie a cette rapidité qui vous manque ») est plus fluide
- not the pursuit of perfection through the sand
je choisis de laisser tel que
« la perfection dans le sable » me semble parlant
plus que « la perfection dans le désert » qui penche plutôt vers le concept
chercher dans le sable, ce n’est pas être seul, isolé (dans le désert), c’est fouiller et remuer une masse de grains tous semblables qui se recouvrent sans cesse les uns les autres et avalent tout
- I shall have riches ; I shall have fame
je pense d’abord à éviter la répétition de « j’aurai » en traduisant par « j’aurai la fortune et la gloire », mais il manque le martèlement
comme si Neville barrait une liste à coups de crayon
- and the courage that comes with it
je cherche plusieurs solutions (le courage qui va avec, le courage qui en découle, le courage que cela donne), je choisis d’aller au plus court avec « le courage qu’elle donne »
- But I do not suffer, as Louis does, to make myself a spectacle
j’essaye de formuler de façon ramassée et si possible sans utiliser « comme » (il y a énormément de « comme » dans Les Vagues), ce qui m’amène à « Mais sans la peur qu’a Louis de se donner en spectacle »
- In this pursuit I shall grow old
mon gros problème dans ce paragraphe est (comme souvent) sa dernière phrase
In this pursuit I shall grow old
je comprends ce qui se passe, mais je ne sais pas le traduire
c’est la malédiction de Neville
cette poursuite, cette chasse de chien, museau collé au sol pour suivre la piste, ne cessera jamais
il deviendra vieux, en poursuivant et poursuivant toujours
In this pursuit I shall grow old
je tente « Dans cette poursuite, je vais devenir vieux. »
mais c’est un pis-allé
la virgule qui apparaît logiquement en français me gêne
le « dans » aussi me gêne, dans mon esprit il s’agit plutôt d’un « avec » ou d’un « au cours de » ou d’un « au milieu de », ou même d’un « à travers cette »
la poursuite comme un sac à dos, une pierre de Sisyphe à rouler
je tente d’inverser les termes
« Je vais vieillir dans cette poursuite »,
il me semble que « Je vais vieillir dans cette quête » serait mieux, mais c’est dommage, la « quête » est un peu comme le désert plus haut, une sorte de concept, la poursuite c’est bien autre chose, il y a la course, l’idée de son effort physique, le corps convoqué, uni avec l’esprit
comme à chaque fois que je me trouve inopérante je vais chercher de l’aide auprès de celles/celui qui m’ont précédé
Michel Cusin : « Dans cette poursuite je deviendrai vieux. »
Cécile Wajsbrot : « La poursuite me fera vieillir. »
Marguerite Yourcenar : « Dans cette poursuite, je vais vieillir. »
Je comprends ce que fait Cécile Wajsbrot, c’est très juste, mais j’aurais besoin de moins de cause à effet
je ne suis pas sûre que la poursuite le fasse vieillir, la poursuite continue, et il vieillit
comme si on filmait le même geste fait par le même ouvrier pendant des années, et qu’on voyait au fur et à mesure que se déroulait la pellicule ses épaules se tasser, ses mains bouger avec moins de précision et de vitesse
(et justement, la vitesse, c’est ce que possède Neville et que les autres n’ont pas)
je pourrais tenter un « en poursuivant » mais cela ne va pas, le cerveau ne voit pas à quoi ce « poursuivant » se raccroche (poursuivant quoi ?), alors que le mot « la poursuite » se passe de référent, établit un état, une situation, presque une entité
je tente « À poursuivre, je deviendrai vieux », mais ça n’est pas plus réussi
je me résous à la solution de « Je vieillirai dans cette poursuite. »
(à modifier ensuite, work in progress)



 ma traduction


« Mais, quand tu te tiens sur le seuil, dit Neville, tu nous figes en exigeant d’être admirée, ce qui entrave toute liberté des relations. Tu te tiens sur le seuil et nous sommes forcés de te voir. Moi, personne ne m’a vu arriver. Je suis venu en avance, très vite et directement ici, pour m’asseoir près de l’être que j’aime. Ma vie a cette rapidité qui vous manque. Je suis comme un chien lancé sur une piste. De l’aube au crépuscule, je chasse. Rien, ni la quête de la perfection dans le sable, ni la gloire ni l’argent, n’ont de sens à mes yeux. J’aurai la fortune ; j’aurai la gloire. Mais je n’obtiendrai jamais ce que je veux, car il me manque la grâce du corps et le courage qu’elle donne. J’ai l’esprit trop agile pour mon corps. J’échoue avant d’atteindre au but et je tombe comme une masse, moite, repoussant peut-être. Dans les moments de crise, c’est la pitié que je suscite, pas l’amour. Voilà pourquoi je souffre horriblement. Mais sans la peur qu’a Louis de se donner en spectacle. J’ai trop le sens des réalités pour me laisser aller à ces jongleries, à ces faux-semblants. Je vois tout – excepté une chose – avec une complète clairvoyance. C’est ce qui me sauve. Et qui attise ma souffrance, continuellement. C’est ce qui fait que j’impose ma loi, même lorsque je me tais. Et puisque d’une certaine façon je suis trompé, car si la personne change sans cesse, le désir, lui, ne change pas, puisque je ne sais pas le matin près de qui je me trouverais le soir, je ne peux pas stagner ; je me relève des pires désastres, je pivote, je me transforme. Les cailloux rebondissent sur l’armure de mon corps musclé, tendu. Je vieillirai dans cette poursuite. »


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(work in progress)

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

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