journal de bord des Vagues -11 ["unsubstantial" ]
vendredi 15 février 2013, par
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(journal de bord de la traduction de The Waves de V Woolf)
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"But when we sit together, close, said Bernard, we melt into each other with phrases. We are edged with mist. We make an unsubstantial territory."
Bernard est celui qui va s’extraire de la réalité grâce aux mots. Il s’adresse à Susan, qui elle est "liée au sol", clouée par eux, privée de mouvements libres
je choisis de remplacer "phrases" par "paroles", ce qu’ils s’échangent, car "phrases et "mots" arrivent ensuite plus précisément, et dans un sens autre
mais c’est "unsubstantial" qui m’arrête,
car le traduire par "sans substance" aurait en français une connotation négative, péjorative, contradictoire avec l’intention ici
irréel, immatériel, impalpable s’approchent mieux
"melt" aussi est un passage délicat,
il faut éviter "nous font fondre"
(les-petites-marionnettes,
ainsi-font-font-fondre...))
"mist" dans le sens de brouillard, je dois modifier aussi, car c’est un brouillard bénéfique, qui les protège, à l’intérieur duquel ils ne se perdent pas de vue
j’en arrive à
« Mais quand nous sommes assis tous les deux, si proches, nos paroles nous fondent l’un dans l’autre. Nous sommes entourés de brume. Nous formons un territoire inaccessible. »
(work in progress bien sûr)
Messages
1. journal de bord des Vagues -11 objection, votre honneur, 15 février 2013, 18:47, par Elizaleg
Je ne suis pas d’accord avec "inaccessible" qui suggère un accès interdit ou impossible. Or, comme tu l’as dit, il s’agit de qualifier un territoire dépourvu de substance. Je crois qu’ "immatériel" serait le mieux...
Il y a un peut-être un autre problème avec "fondent" car au présent de l’indicatif, cette forme peut venir de fonder tout aussi bien que de fondre... peut-il y avoir risque de confusion ? mais non, fonder l’un dans l’autre n’aurait pas grand sens. Je déraille.
Le reste me semble très bien ! J’aime le "si" que tu as accolé à "proches", et j’approuve - du haut de ma grandeur - la transformation des "phrases" en "paroles"...
1. journal de bord des Vagues -11 objection, votre honneur, 15 février 2013, 19:28, par Christine Jeanney
ah moi, je ne voyais pas interdit, mais à l’écart, privilégié, un endroit pour eux seuls, inaccessible pour les autres, mais je comprends ta pensée...
(immatériel, ça donne peut-être un côté technique, virtuel-froid non ?)
(c’est toujours en gestation-mouvement de toute façon :-))
2. journal de bord des Vagues -11, 16 février 2013, 09:44, par Pierre R Chantelois
Passionnants échanges... Pour ne pas en interrompre la substantifique moelle du savoir, je me tais et je lis. ;-)
1. journal de bord des Vagues -11, 16 février 2013, 17:39, par Christine Jeanney
ah mais vous pouvez parler Pierre ! au contraire :-)
3. journal de bord des Vagues -11, 16 février 2013, 12:00, par Danielle Carlès
Le brouillard, comme celui dont Vénus enveloppe Énée et Achate pour les protéger ? J’avais hésité aussi entre brume et brouillard. Mais finalement choisi brouillard.
1. journal de bord des Vagues -11, 16 février 2013, 17:40, par Christine Jeanney
oui en fait, on se promène chacun avec notre brouillard ou notre brume, et sa couleur inquiétante ou protectrice... :-)
4. journal de bord des Vagues -11, 16 février 2013, 12:12, par Philippe Aigrain
Tu n’as pas choisi la facilité. Tous les traducteurs se sont battus pour traduire "insubstantial [pageant]" dans La Tempête de Shakespeare. En laissant de côté la différence "insubstantial" / "unsubstantial", François-Victor Hugo a traduit "[cette fête] immatérielle" et Bonnefoy "[cette] ombre [de spectacle]". Alors vive l’inaccessible territoire.
1. journal de bord des Vagues -11, 16 février 2013, 17:42, par Christine Jeanney
et ce matin j’ai pensé aussi à "impalpable" pour sa douceur
(je ne sais pas où je pêche la douceur d’impalpable, parce que qu’avec ses deux p et son bl, ce n’est pas forcément doux à prononcer... :-))
5. journal de bord des Vagues -11, 16 février 2013, 12:58, par Philippe Aigrain
Hum, j’avais zappé le commentaire d’Elizaleg. Je voulais juste souligner que la liberté d’interprétation s’imposait.
6. journal de bord des Vagues -11, 16 février 2013, 13:45, par phil Lambert
Dans l’esprit : un halo de brume ( brume qui serait enveloppante dans un cercle lumineux ?)
1. journal de bord des Vagues -11, 16 février 2013, 17:46, par Christine Jeanney
ah oui, nous sommes entourés d’un halo de brume, c’est tout-à-fait l’esprit. La phrase s’allonge par contre, face à l’originale, elle sonne plus langoureuse, moins mystérieuse peut-être
(c’est le problème aussi, parfois en voulant être plus "explicite" on tire le texte vers un endroit qui n’était pas forcément son intention première. Mais quand on décide, il faut suivre et se dire "voilà" (un peu comme on se dirait "tant pis")(d’où le questionnement jamais fini en fait))
7. journal de bord des Vagues -11, 18 février 2013, 07:33, par Dominique Hasselmann
Un film de Tavernier s’appelle "Dans la brume électrique" (j’imagine mal le brouillard électrisé) : je préfère donc "brume" ici, puisque chacun peut donner son avis.
Et je repense à un autre film, de Clint Eastwood (deux "o" comme dans "Woolf" mais pas la même ambition), "Play Misty for me", du nom d’une musique envoûtante d’Errol Garner : il faut dire que la traduction française du titre original est "Un frisson dans la nuit" !
1. journal de bord des Vagues -11, 18 février 2013, 08:20, par Christine Jeanney
ah oui, Play Misty, comment le traduire !
autant partir sur une nouvelle piste, et changer totalement (comme Les sept samouraïs ou Le retour de la vengeance II) :-)
Brume, oui, je crois que je garde...