journal de bord des Vagues -12 [transhumance]
jeudi 21 février 2013, par
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(journal de bord de la traduction de The Waves de V Woolf)
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le travail continue, mais c’est le souterrain qui prend de plus en plus d’importance.
Je lis au Flotoir ce matin :
"Une fois un certain travail accompli (indispensable), arriver à se détacher de la lettre (qui est ici la note) et entrer dans une approche plus globale"
le "travail accompli (indispensable)" est là pour moi, et là aussi, visible dans ce journal des Vagues
C’est le socle, la base, la recherche "pure" sur un mot, une intention, une expression, un déplacement des segments de la phrase, une recherche, c’est très touffu, très prenant, très apparent mais
bizarrement, ce n’est peut-être pas le plus important
ce qui compte c’est suivre l’intention, le chant, la tessiture ("l’approche plus globale")
et c’est ça le plus difficile, parce que ça passe par des capteurs dont je ne sais même pas où ils se trouvent et que je ne saurais ni nommer, ni exprimer, ni justifier. Et le résultat final ne montre rien, c’est du travail muet ou invisible, pas sûre que le lecteur puisse capter si ce travail est là ou pas. Peut-être que ça tient aussi de cette transhumance
c’est vraiment presque un décalage du corps mental
(oui je sais, ça semble un peu ridicule -
je suis la première à me moquer de mes trouvailles fabuleuses comme "décalage du corps mental", je ris de moi et ensuite j’ai un peu de peine pour la petite fille dans ma tête qui tente de s’exprimer avec des mots sans réussir, c’est la même frustration que celle de la toute petite enfance, l’impression d’être seulement capable de crier en montrant du doigt)
n’empêche, cette transhumance vers les mots de l’Autre, pour le traduire, n’est pas une posture virtuelle,
ou académique,
ou grammaticale,
ou savante
il s’agirait de trouver les ressources en soi de ce déplacement des lignes, des yeux, de l’épiderme au sens large (des capteurs sensitifs)
je lis ensuite la note de lecture de Florence Trocmé sur Poezibao et je comprends-sens-approuve :
« Mireille Gansel le dit à la toute fin du livre, ajoutant que c’est sans doute sa plus essentielle leçon de traduction : « l’étranger ce n’est pas l’autre, c’est moi, moi qui ai tout à apprendre, à comprendre de lui. »
Messages
1. journal de bord des Vagues -12, 21 février 2013, 09:59, par czottele
vrai, je viens de lire cette lettre de Virginia (adressée à Vita à propos de l’un de ses poèmes) et c’est comme si je te lisais, toi... Avec ton poème, c’est un peu comme si j’avais affaire à un beau gâteau que je peux émietter. Je suppose qu’il manque un peu de transparence, d’une espèce d’intensité brutale ; je ne suis pas sûre. Envoie-moi quelque chose que tu viens d’écrire. À la réflexion, ce que j’entends pas "intensité brutale" peut très bien être idiot. Mais d’un autre côté , pourquoi réfléchir ? Voilà dix minutes que je pense à ton poème, la plume dans le bec. "Lettre à V. Sackville-West, du 1er mars 1926", Virginia Woolf, Ce que je suis en réalité demeure inconnu - Lettres 1901-1941 - traduites par Claude Demanuelli, éd. du Seuil, 1993.
1. journal de bord des Vagues -12, 23 février 2013, 09:00, par Christine Jeanney
ah "la plume dans le bec" je l’imagine bien :-)
J’ai écouté hier sa voix, un enregistrement de la BBC, c’était très étrange son rythme de parole (à la fois connu et inconnu).
Merci Christine !
2. journal de bord des Vagues -12, 21 février 2013, 11:12, par brigitte celerier
la machine s’est éteinte pendant ma réponse - vais essayer de retrouver.
La petite fille trouve en tout cas les mots qui font que l’autre petite fille, celle qui est - ben oui, pourquoi pas ? - en moi comprenne ou le crois.
Et elle admire, les mots trouvés, la difficulté de cette translation (sait pas non plus elle trouver) - elle qui a cessé de croire en cette brève illusion qu’elle a eu un temps d’être capable d’arriver, à tâtons, à trouver une approche de ce qui voulait se dire.
Besoin d’une cure de silence et de lecture, avant de tenter, au moins pour tenir une promesse, de mettre en forme et en mots des embryons d’idée, pour qu’il en sorte une humble petite chose, sans importance, sauf celle de ne pas trop la navrer (quand je dis que ne trouve pas mes mots, et à peine mes idées)
1. journal de bord des Vagues -12, 23 février 2013, 09:02, par Christine Jeanney
La cure de silence n’est pas inutile (et n’empêche pas le cerveau de fonctionner, surtout le vôtre ! :-)). Et puis peut-être que réussir à dire ou ne pas réussir n’est pas vraiment important, que c’est la tentative qui compte ? (tiens, tentative, l’est chouette ce mot, je devrais le garder au chaud pour en faire quelque chose :-))
3. journal de bord des Vagues -12, 21 février 2013, 13:44, par ana nb
viens de prendre ton journal de traduction en marche , merci de partager ton travail - impression de vivre de l’intérieur la traduction , pas seulement dans les mots ou dans la sonorité mais aussi dans le mouvement - le mouvement intérieur de la phrase et tous les mouvements extérieurs de la vie - ( pas de journal de bord 1 et 2 ? )
1. journal de bord des Vagues -12, 23 février 2013, 09:04, par Christine Jeanney
Grand Merci Ana !
si, il y a le un et le deux, ils n’ont peut-être pas la place de s’afficher sur le côté ?...
je ne sais pas si mon lien va fonctionner, je tente :
http://christinejeanney.net/spip.php?rubrique26&debut_articles=10#pagination_articles
2. journal de bord des Vagues -12, 23 février 2013, 09:05, par Christine Jeanney
ah bé oui, ça marche :-)
4. journal de bord des Vagues -12, 22 février 2013, 05:30, par Pierre R Chantelois
Il y a le cœur. Il y a la raison. Et le cœur ignore parfois la raison. Dans cet indispensable travail, la raison devrait aussi ignorer le cœur. Mais le cœur de qui ? Le sien ou celui de l’autre. L’auteur. Les mots ne répondent pas à tout.
1. journal de bord des Vagues -12, 23 février 2013, 09:08, par Christine Jeanney
oui, c’est très compliqué ces histoires d’équilibre à trouver
(en même temps, si c’était simple, on serait tous aussi pertinents que des pots de yaourt :-), c’est peut-être un bien, ces jongleries "déraisonnables" :-))
5. Corps mental et esprit corporel , 22 février 2013, 11:32, par Philippe Aigrain
Oui, je ressens aussi ce décalage lors des quelques traductions que j’ai faites, particulièrement quand je suis à la limite de la compréhension et que je fais un effort intense pour laisser le texte parler en moi, se réécrire dans ma langue. Et puis si notre esprit est corporel, pourquoi pas un corps mental ? Même chez les petits glaçons, pas seulement chez les petites billes comme disait Pef dans le Prince de Motordu..
1. Corps mental et esprit corporel , 23 février 2013, 09:10, par Christine Jeanney
En tant qu’admirative (mais non pratiquante) du patin à poulettes et grande joueuse de tartes, j’approuve en totapeflité ! Merci Philippe :-)