journal de bord des Vagues -121 ["la tête couverte de bandages, les hommes avec des cordes"]
mercredi 11 octobre 2023, par
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(journal de bord de ma traduction de
The Waves de V Woolf)
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(Bernard continue de parler, toujours la mort de Percival, centrale)
– le passage original
’Yet already signals begin, beckonings, attempts to lure me back. Curiosity is knocked out only for a short time. One cannot live outside the machine for more perhaps than half an hour. Bodies, I note, already begin to look ordinary ; but what is behind them differs—the perspective. Behind that newspaper placard is the hospital ; the long room with black men pulling ropes ; and then they bury him. Yet since it says a famous actress has been divorced, I ask instantly, Which ? Yet I cannot take out my penny ; I cannot buy a paper ; I cannot suffer interruption yet.
’I ask, if I shall never see you again and fix my eyes on that solidity, what form will our communication take ? You have gone across the court, further and further, drawing finer and finer the thread between us. But you exist somewhere. Something of you remains. A judge. That is, if I discover a new vein in myself I shall submit it to you privately. I shall ask, What is your verdict ? You shall remain the arbiter. But for how long ? Things will become too difficult to explain : there will be new things ; already my son. I am now at the zenith of an experience. It will decline. Already I no longer cry with conviction, "What luck !" Exaltation, the flight of doves descending, is over. Chaos, detail return. I am no longer amazed by names written over shop-windows. I do not feel Why hurry ? Why catch trains ? The sequence returns ; one thing leads to another—the usual order.
’Yes, but I still resent the usual order. I will not let myself be made yet to accept the sequence of things. I will walk ; I will not change the rhythm of my mind by stopping, by looking ; I will walk. I will go up these steps into the gallery and submit myself to the influence of minds like mine outside the sequence. There is little time left to answer the question ; my powers flag ; I become torpid. Here are pictures. Here are cold madonnas among their pillars. Let them lay to rest the incessant activity of the mind’s eye, the bandaged head, the men with ropes, so that I may find something unvisual beneath. Here are gardens ; and Venus among her flowers ; here are saints and blue madonnas. Mercifully these pictures make no reference ; they do not nudge ; they do not point. Thus they expand my consciousness of him and bring him back to me differently. I remember his beauty. "Look, where he comes," I said.’
ce passage est pris au milieu, ou presque, d’un monologue de Bernard autour de la mort de Percival
ce qui me frappe d’entrée, c’est le nombre de already
déjà, c’est déjà fini, déjà passé, déjà derrière, déjà
et le nombre de phrases qui affirment suivies de but
comme si Bernard tentait de reprendre l’équilibre, soupesant chaque atome
celui-ci existe, il a ce poids, mais
un autre existe aussi, qui contredit
il se tient entre deux mondes
car le monde, tel qu’il le connaissait, s’est dédoublé
factuellement, le monde tangible montre une affiche
(en fait ce que je visualise comme ces panneaux publicitaires en V inversé posés sur les trottoirs)
derrière l’affiche avec les nouvelles (l’actrice qui divorce) le bâtiment de l’hôpital
et cela est factuel, mais (but)
s’engouffre la vision du cercueil de Percival, de son enterrement
cet autre monde dessous
Bernard ne peut pas faire autrement que d’être lien entre les deux
car il se trouve à la croisée
et c’est difficile, et c’est douloureux
un chemin long
aussi long que la salle d’hôpital
qu’il faut tenir, dans la durée
(I cannot suffer interruption / I will not change the rhythm of my mind by stopping, by looking)
ces deux mondes doivent cohabiter
il le faut maintenant
c’est cela que la mort de Percival a changé
(le I need [...] to consider what has happened to my world, what death has done to my world du passage précédent)
où pourront-ils s’unir, si ce n’est dans l’art ?
(à ça que sert l’art peut-être, à faire cohabiter des mondes que la matière, forcément limitée, sépare)
peut-être que là, dans le musée, par la beauté
Bernard va pouvoir retrouver les siens
les rejoindre
Percival bien sûr (le mort)
mais aussi Neville (vivant), utilisant les mêmes mots que lui
("Look, where he comes," I said.’)
et puis cette question de la chronologie
ces séquences qui se suivent, ces séries, ces suites
(déjà, à plusieurs reprises depuis le début des Vagues
le mot sequence est apparu comme une donnée avec laquelle composer
et je ne suis pas certaine d’avoir trouvé la bonne traduction à chaque fois, selon le contexte
car ces "séquences" sont comme un ennemi multiforme, à plusieurs têtes)
et donc, est-on obligé de subir cette chronologie, ces séquences couperets qui tombent ?
avec un avant, un après ?
(c’est d’ailleurs tout le travail d’écriture de VW cette question-là)
et quoi faire des images qui attrapent par le col, exigent des réponses ?
(les bandages, les cordes)
Mercifully these pictures make no reference ; they do not nudge ; they do not point.
est-ce qu’on est obligé de constater que déjà c’est fini ?
il pourrait y avoir un lieu où le monde est entier
avec les morts et les vivants
un lieu où les vivants peuvent dire d’un mort "Regardez qui arrive !"
(c’est ce que je crois avoir compris)
– ma proposition
Mais déjà les signaux reprennent, appellent, tentent de m’attirer. La curiosité ne reste groggy qu’un instant. Il n’est pas possible de vivre en dehors de la machine plus d’une demi-heure peut-être. Les corps, je le vois, recommencent déjà à sembler habituels ; mais ce qui se trouve derrière eux a changé – la perspective. Derrière l’affiche du journal c’est l’hôpital ; la longue salle avec les hommes en noirs tirant sur des cordes ; ils l’enterrent. Mais puisqu’il est écrit qu’une actrice célèbre divorce, aussitôt je me demande : Laquelle ? Et pourtant, impossible de sortir un penny ; impossible d’acheter le journal ; je ne suis pas encore capable de supporter l’interruption.
Et je me demande, si je ne dois jamais te revoir ni fixer mon regard sur cette solidité, sous quelle forme allons-nous communiquer ? Tu as traversé la cour, tu t’éloignes, tu t’éloignes, étirant de plus en plus le fil qui nous relie. Mais tu existes quelque part. Une part de toi reste. Un juge. Par exemple, si je découvre en moi une nouvelle veine, je te la soumettrai, en secret. Je te demanderai : Ton verdict ? Tu seras l’arbitre. Mais pendant combien de temps ? Les choses deviendront trop difficiles à expliquer : il y en aura de nouvelles ; mon fils, déjà. J’arrive maintenant à l’apogée de ma vie. C’est en déclin. Déjà, je ne m’écrie plus "Quelle chance !" avec conviction. L’exaltation, le vol des colombes qui se posent, c’est fini. Le chaos, les détails reprennent. Terminé de lire les noms sur les vitrines avec étonnement. Je ne me demande plus Pourquoi me dépêcher ? Pourquoi prendre le train ? L’enchaînement des choses reprend ; une chose en entraîne une autre – l’ordre habituel.
Oui, mais l’ordre habituel m’irrite toujours. Je refuse de subir le cours des choses qui s’enchaînent. Je marcherai ; je garderai intact le rythme de ma pensée sans m’arrêter, sans regarder ; je marcherai. Je gravirai les escaliers dans les musées pour chercher l’influence d’esprits comme le mien, qui s’écartent du cours des choses. Il me reste peu de temps pour répondre à la question ; mes pouvoirs fléchissent ; je suis pris de torpeur. Devant moi des tableaux. Devant moi des madones froides entre les colonnes. Qu’elles fassent cesser l’activité incessante de mon imagination, la tête couverte de bandages, les hommes avec des cordes, afin que je puisse trouver l’invisible dessous. Voici des jardins ; et Vénus au milieu de ses fleurs ; voici les saints et les madones bleues. Par bonheur, ces images ne renvoient à rien ; elles ne poussent pas du coude ; elles ne pointent pas du doigt. Elles étendent la connaissance que j’ai de lui, et ainsi le ramènent à moi, différent. Je me rappelle sa beauté. Je disais : "Regardez qui arrive !" »
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( work in progress )
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