journal de bord des Vagues -139 ["rien qu’en battant des ailes"]
jeudi 9 novembre 2023, par
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(journal de bord de ma traduction de
The Waves de V Woolf)
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(un chapitre s’achève, mais avant qu’un autre s’ouvre, regardons le soleil descendre sur la mer)
– le passage original
The sun had now sunk lower in the sky. The islands of cloud had gained in density and drew themselves across the sun so that the rocks went suddenly black, and the trembling sea-holly lost its blue and turned silver, and shadows were blown like grey cloths over the sea. The waves no longer visited the further pools or reached the dotted black line which lay irregularly marked upon the beach. The sand was pearl white, smoothed and shining.
Birds swooped and circled high up in the air. Some raced in the furrows of the wind and turned and sliced through them as if they were one body cut into a thousand shreds. Birds fell like a net descending on the tree-tops. Here one bird taking its way alone made wing for the marsh and sat solitary on a white stake, opening its wings and shutting them.
Some petals had fallen in the garden. They lay shell-shaped on the earth. The dead leaf no longer stood upon its edge, but had been blown, now running, now pausing, against some stalk. Through all the flowers the same wave of light passed in a sudden flaunt and flash as if a fin cut the green grass of a lake. Now and again some level and masterly blast blew the multitudinous leaves up and down and then, as the wind flagged, each blade regained its identity. The flowers, burning their bright disks in the sun, flung aside the sunlight as the wind tossed them, and then some heads too heavy to rise again drooped slightly.
The afternoon sun warmed the fields, poured blue into the shadows and reddened the corn. A deep varnish was laid like a lacquer over the fields. A cart, a horse, a flock of rooks—whatever moved in it was rolled round in gold. If a cow moved a leg it stirred ripples of red gold, and its horns seemed lined with light. Sprays of flaxen-haired corn lay on the hedges, brushed from the shaggy carts that came up from the meadows short-legged and primeval looking. The round-headed clouds never dwindled as they bowled along, but kept every atom of their rotundity. Now, as they passed, they caught a whole village in the fling of their net and, passing, let it fly free again. Far away on the horizon, among the million grains of blue-grey dust, burnt one pane, or stood the single line of one steeple or one tree.
The red curtains and the white blinds blew in and out, flapping against the edge of the window, and the light which entered by flaps and breadths unequally had in it some brown tinge, and some abandonment as it blew through the blowing curtains in gusts. Here it browned a cabinet, there reddened a chair, here it made the window waver in the side of the green jar.
All for a moment wavered and bent in uncertainty and ambiguity, as if a great moth sailing through the room had shadowed the immense solidity of chairs and tables with floating wings.
c’est très étrange (plus je traduis, plus je comprends des choses)
je ne sais pas à quel point c’est maîtrisé pour VW
(si ça l’est, et je suppose que ça l’est, c’est magistral)
c’est-à-dire que ce qui est contenu dans le dernier paragraphe de cet intermède
est un résumé, un extrait au sens d’extraction, la substance de ce qui précède
tout vibre, est incertain
bent in uncertainty and ambiguity
le chardon blue qui turned silver
les feuilles qui filent dans le vent et s’immobilisent
les oiseaux, soit tourbillonnants, soit seuls, fichés sur un piquet
les fleurs qui essayent de garder la tête haute, mais qui drooped slightly
la vague de lumière qui les traverse est unique (the same wave)
mais faite de choses presque antinomiques (flaunt and flash)
beaucoup de coups d’épine (suddenly, sudden), de irregularly, de up and down, now and again
qui surgissent entre des phrases plus longues, plus calmes
comme une machine qui hoquète, se dérègle
le temps de l’harmonie et de l’épanouissement total (la jeunesse) est passé
ce n’est plus le mouvement régulier des vagues
les mouvements ascendants, descendants, les coulées, sont interrompus
quelque chose efface les lignes de pointillés
(the dotted black line which lay irregularly marked upon the beach)
quelque chose rend illisible le reflet de la fenêtre sur le vase
(it made the window waver in the side of the green jar)
le contour des cornes de la vache se dédouble
les blés ne sont plus là, où ils doivent être, mais s’éparpillent dans les haies
des filets sont jetés
on attrape, on relâche
comme si on tentait de dompter les choses
et de leur faire savoir qu’elles n’en ont plus pour très longtemps
(la scène avec le cheval dans The Misfits)
il y a des résistances
de temps en temps on tente de rester debout et droit
l’oiseau, the single line of one steeple or one tree
et les rideaux aussi, mais ça n’est pas possible
tout cela bat, est soulevé, emporté
soufflé
le terme qui revient est blow (les feuilles, les rideaux, les ombres)
pourquoi, et par qui ?
c’est la grande phalène, à la fin, qui passe
qui recouvre tout de ses ailes
fait tout vibrer
c’était un passage très difficile à traduire (tell me something new)
d’autant qu’il est assez court
six paragraphes seulement
avec le rappel de ce qui existait dans les intermèdes précédents
le soleil, le ciel, les oiseaux, les feuilles, les fleurs, la pièce et son mobilier
mais talés, vieillis, ridés
oui j’ai mis beaucoup de temps à mettre en forme une proposition de traduction qui me semble tenir (un peu) la route
d’autant qu’à la place de green glass, j’avais lu green grass
(ce qui était encore moins simple)
(ou l’art de se faire des croche-pieds à soi-même)
je ne suis pas allée voir les autres traductions pour une fois
(d’habitude, je le fais, au moins pour être sûre de n’avoir pas fait de contre-sens)
je ne saurais pas expliquer pourquoi
c’est comme si mon équilibre, celui que j’avais construit, était fragile
et que la lecture d’une autre traduction allait souffler tout mon échafaudage
(je lirai plus tard)
– ma proposition
Le soleil avait sombré un peu plus dans le ciel. Les îlots de nuages, maintenant plus denses, s’étiraient devant lui, rendant d’un coup les rochers noirs, et le chardon des dunes virait dans un frisson du bleu à l’argenté, et sur la mer les ombres étaient soufflées comme des étoffes grises. Les vagues avaient cessé d’atteindre les trous d’eau les plus reculés, ainsi que la ligne de pointillés noirs, discontinue, qui s’étendait le long de la plage. Le sable était d’un blanc nacré, lisse et luisant.
Les oiseaux tombaient en piqué pour remonter en cercles dans les airs. Certains couraient dans les sillons du vent, s’y engouffraient et les fendaient comme un seul corps coupé en mille morceaux. Ils se jetaient comme on lance un filet depuis la cime d’un arbre. Puis l’un d’eux s’en allait vers l’étang et venait se poser, solitaire, en haut d’un piquet blanc, ouvrant et repliant ses ailes.
Quelques pétales étaient tombés dans le jardin. Ils gisaient, déposés sur la terre comme des coquillages. La feuille morte ne tenait plus sur sa tranche, ayant été soufflée, elle courait par moments ou bien se trouvait arrêtée par une tige. À travers toutes les fleurs passait la même vague de lumière, en ondes, en lueurs brèves, comme l’aileron fend la surface miroitante d’un lac. De temps en temps, une bourrasque magistrale emportait d’un seul mouvement la multitude des feuilles en tourbillons, puis le vent faiblissait, et chacune reprenait son identité. Les fleurs, brûlantes, avec leurs disques éclatants, renvoyaient les rayons du soleil au gré des secousses du vent, et les têtes trop lourdes pour se relever penchaient, légèrement.
Le soleil de l’après-midi réchauffait le sol, il déversait du bleu dans l’ombre et faisait rougir le maïs. Un vernis profond s’étalait en laque sur les champs. Charrette, cheval, corbeaux en nombre – tout ce qui bougeait semblait avoir été roulé dans l’or. Lorsqu’une vache avançait une patte, elle soulevait des ondes cuivrées et rouges, les cornes soulignées de lumière. Des touffes de blés s’accrochaient dans les haies, cheveux de lin déposés là par les charrettes qui revenaient des champs, hirsutes et basses, d’aspect sommaire. Les nuages à têtes rondes roulaient là-haut sans jamais diminuer, sans perdre un seul atome de rondeur. Ils glissaient, attrapaient un village entier dans leur filet, et puis ils s’éloignait et lui rendaient sa liberté. Plus loin à l’horizon, au milieu d’une poussière de milliers de grains gris-bleu, une vitre étincelait, ou une ligne montait, isolée, un clocher ou un arbre.
Le voilage rouge et le store blanc flottaient, dehors, dedans, pris par le courant d’air, claquant contre la fenêtre, et la lumière parfois entrait, en bandes inégales, amenant avec elle une sorte de teinte brune, une sorte d’abandon d’avoir été soufflé par les rafales soulevant le rideau. Ici, un meuble devenait plus foncé, là une chaise rougissait et, sur le ventre du vase vert, les lignes de la fenêtre se faisaient hésitantes.
Pendant un instant, tout chancela, tout vacilla dans une atmosphère incertaine, ambiguë, comme si, navigant dans la pièce, l’ombre d’une grande phalène faisait trembler l’extrême solidité des chaises et des tables, rien qu’en battant des ailes.
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( work in progress )
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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</
Messages
1. journal de bord des Vagues -139 ["rien qu’en battant des ailes"], 9 novembre 2023, 20:17, par brigitte celerier
j’aime tout avec un sourire plus gourmand encore pour ce soleil qui déverse du bleu...
1. journal de bord des Vagues -139 ["rien qu’en battant des ailes"], 10 novembre 2023, 08:40, par C Jeanney
oui, j’aime énormément ce qui se passe avec les couleurs ici, comme elles bougent ! Merci Brigitte