journal de bord des Vagues -29 [des outres gonflées de vin pendent aux portes des tavernes]
samedi 21 septembre 2013, par
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(journal de bord de la traduction de The Waves de V Woolf)
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beaucoup de temps sur un mot puis un autre
puis reprendre et reprendre encore
choisir de déplacer, oser le faire
(oh la petite culpabilité qui se niche là)
et "figure"
the trembling figure of Christ’s mother
the stricken figure of Christ
que j’ai traduit par "effigie" faute de mieux
(je n’ai pas trouvé ce mot, il doit exister pourtant, il veut dire statue et icône, il raconte du bois peint, doré, un peu fissuré, tristement sans sens, tristement pragmatique et matériel, dérisoire aussi
ce n’était pas silhouette (trop vaporeux) ni image (trop propret)
(j’ai l’air de parler comme une publicité pour une lessive, "trop sec ?" "trop terne ?" "utilisez Bzum qui lave plus blanc !")
c’était claudiquant aujourd’hui
(ça l’est peut-être toujours, mais là je m’en suis rendue compte)
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’ The brute menaces my liberty,’ said Neville, ‘when he prays. Unwarmed by imagination, his words fall cold on my head like paving-stones, while the gilt cross heaves on his waistcoat. The words of authority are corrupted by those who speak them. I gibe and mock at this sad religion, at these tremulous, grief-stricken figures advancing, cadaverous and wounded, down a white road shadowed by fig trees where boys sprawl in the dust — naked boys ; and goatskins distended with wine hang at the tavern door. I was in Rome travelling with my father at Easter ; and the trembling figure of Christ’s mother was borne niddle-noddling along the streets ; there went by also the stricken figure of Christ in a glass case.
‘Now I will lean sideways as if to scratch my thigh. So I shall see Percival. There he sits, upright among the smaller fry. He breathes through his straight nose rather heavily. His blue and oddly inexpressive eyes are fixed with pagan indifference upon the pillar opposite. He would make an admirable churchwarden. He should have a birch and beat little boys for misdemeanours. He is allied with the Latin phrases on the memorial brasses. He hears nothing. He is remote from us all in a pagan universe. But look — he flicks his hand to the back of his neck. For such gestures one falls hopelessly in love for a lifetime. Dalton, Jones, Edgar and Bateman flick their hands to the back of their necks likewise. But they do not succeed .’
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« Cette brute menace ma liberté, avec ses prières, dit Neville. Dépourvus de chaleur, d’imagination, ses mots tombent sur ma tête, gelés comme des pavés, pendant que, sur sa veste, la croix dorée se soulève. Les paroles d’autorité sont altérées par ceux qui les prononcent. Je me moque, je ricane devant cette religion triste, toutes ces silhouettes tremblotantes, accablées de chagrin, cadavériques, meurtries, qui s’avancent le long de la route blanche ombragée de figuiers, là où des garçons jouent dans la poussière – des garçons nus ; et des outres gonflées de vin pendent aux portes des tavernes. J’étais à Rome en voyage avec mon père pour Pâques ; et on portait l’effigie tremblante de la mère du Christ, brinquebalante dans les rues ; on voyait aussi passer l’effigie accablée du Christ dans une caisse de verre.
Maintenant, je vais me pencher sur le côté, comme si je me grattais la cuisse. Et je verrai Perceval. Il est assis là-bas, tout raide, au milieu du menu fretin. Il respire assez fort, le nez droit. Ses yeux bleus, curieusement inexpressifs, fixent le pilier opposé, avec une indifférence païenne. Il ferait un admirable sacristain. Il aurait une verge pour battre les petits garçons mal élevés. Il est de la même eau que les phrases latines sur les plaques de cuivre. Il ne voit rien. Il n’entend rien. Il se retire dans un univers païen. Mais regardez – sa main touche sa nuque. Des gestes comme celui-là rendent désespérément amoureux toute une vie. Dalton, Jones, Edgar et Bateman touchent leurs nuques de la même façon. Sans succès. »
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Messages
1. journal de bord des Vagues -29 [des outres gonflées de vin pendent aux portes des tavernes], 21 septembre 2013, 18:27, par brigetoun
ne pas compter sur moi pour être apte à trouver remarques à faire - suis plus que claudiquantes, quelque chose entre claudication et paralysie. Comme ce n’est pas paralysie totale j’ai au moins essayé de sonder avec une petite cuillère mon crâne à la recherche d’un autre mot, et j’ai le plaisir de te dire qu’effigie s’incrustait comme évident.
Pour le reste je me suis bornée à savourer (comme la cadence du début)
Problème : suis pas plus apte à me tirer quelque chose pour moi.
1. journal de bord des Vagues -29 [des outres gonflées de vin pendent aux portes des tavernes], 22 septembre 2013, 07:16, par Christine Jeanney
oui, c’est une cadence autre dans cette partie, comme un pas de côté, un écart
(mais j’ai confiance en tes pouvoirs paranormaux Brigitte, tu trouves toujours quoi tirer :-))
2. journal de bord des Vagues -29 [des outres gonflées de vin pendent aux portes des tavernes], 21 septembre 2013, 18:54, par Philippe
Oui « figure » et sa répétition sont vraiment difficiles. « un Christ accablé promené dans une caisse de verre » ? Bon, à soumettre aux autorités, mais les spécialistes n’hésitent pas à dire "un Christ du 13ème" pour parler d’une sculpture.
1. journal de bord des Vagues -29 [des outres gonflées de vin pendent aux portes des tavernes], 22 septembre 2013, 07:14, par Christine Jeanney
c’est terrible comme "effigie" ne me semble pas adapté, et en même temps je ne vois pas d’autre choix (j’ai peur que le "un Christ" ne marque pas assez l’icône brinquebalée dans les rues)...
3. journal de bord des Vagues -29 - effigies, etc., 22 septembre 2013, 10:50, par Elizaleg
Pretty difficult !
Quelques bricoles...
Je valide tout à fait "effigie" - franchement, je ne vois pas ce qu’on pourrait mettre d’autre.
J’objecte un peu la construction de "ses mots tombent sur ma tête, gelés comme des pavés"... sans trop m’expliquer, je propose "ses mots tombent gelés sur ma tête, comme des pavés"... je pense que tu vois ce que je veux dire...
Mais ce qui me gêne, c’est la "caisse de verre"... peu naturelle... pourrait-on aller jusqu’à "vitrine" ???
1. journal de bord des Vagues -29 - effigies, etc., 23 septembre 2013, 08:10, par Christine Jeanney
ah je ne le sens pas vitrine, il y a un côté clinquant dans le mot, ou glacé-strass, ou épicerie ou merry christmas qui repousse l’idée de la boîte carrée et de l’enfermement (du petit joujou triste qu’on trimbale)
oui, les pavés, il faut que ça sorte fluide, je vais sûrement revoir et revoir ça à la relecture (héhé, je suis drôle avec "la" relecture, il manque un fabuleux pluriel là :-)), tout comme le mot "altéré" qui ne me va plus, il est bien hautain et structuré, dans une bouche si colérique et écorchée
merci Elizabeth ! :-)
4. journal de bord des Vagues -29 [des outres gonflées de vin pendent aux portes des tavernes] vitrines et pavés, 24 septembre 2013, 14:36, par Elizaleg
oui, je comprends ta réticence à l’égard de "vitrine", ça ne colle pas, néanmoins "caisse de verre" continue à me rester en travers de la gorge...
et ces pavés, en effet (on pourrait les balancer dans la vitrine ? rassurez-vous, je plaisante...)
quant à "altérés" : peut-être "déformés" ? un peu plat...
conclusion provisoirement définitive : la traduction est un art difficile !
1. journal de bord des Vagues -29 [des outres gonflées de vin pendent aux portes des tavernes] vitrines et pavés, 24 septembre 2013, 14:48, par Christine Jeanney
et abîmés ? (ça me semble plus juste abîmés...)