journal de bord des Vagues -30 ["poudre de papillon"]
mardi 24 septembre 2013, par
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(journal de bord de la traduction de The Waves de V Woolf)
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j’aime beaucoup ce paragraphe,
le professeur Crane réduit la danse des papillons en poudre avec ses mots, mais Bernard, lui, veut monter sur les siens à califourchon et, par la danse des papillons, s’échapper
comme s’il était devant une porte battante qu’un courant d’air ouvre et ferme, qu’il attendait le bon moment pour bondir,
s’extraire
comme s’il lui fallait s’exercer en attendant,
remplir son carnet de matériel pour être prêt à embarquer
c’est pourquoi j’ai voulu que Bernard prenne à bras-le-corps le That will be useful,
pas avec la distance de "ça pourra servir"
mais en le faisant sien, "ça pourra me servir"
j’ai essayé de garder l’élan de ce mouvement,
le désir du saut comme une pulsion naturelle,
que les mots sortent naturellement
("naturellement", I wish, tiens)
(plus j’avance plus je mesure à quel point "tentatives" est un bon titre pour ce site)
(comme dirait Bernard : ce mot will be usefull)
work in progress
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’ At last,’ said Bernard, ‘the growl ceases. The sermon ends. He has minced the dance of the white butterflies at the door to powder. His rough and hairy voice is like an unshaven chin. Now he lurches back to his seat like a drunken sailor. It is an action that all the other masters will try to imitate ; but, being flimsy, being floppy, wearing grey trousers, they will only succeed in making themselves ridiculous. I do not despise them. Their antics seem pitiable in my eyes. I note the fact for future reference with many others in my notebook. When I am grown up I shall carry a notebook — a fat book with many pages, methodically lettered. I shall enter my phrases. Under B shall come “Butterfly powder”. If, in my novel, I describe the sun on the window-sill, I shall look under B and find butterfly powder. That will be useful. The tree “shades the window with green fingers”. That will be useful. But alas ! I am so soon distracted — by a hair like twisted candy, by Celia’s Prayer Book, ivory covered. Louis’ can contemplate nature, unwinking, by the hour. Soon I fail, unless talked to. « The lake of my mind, unbroken by oars, heaves placidly and soon sinks into an oily somnolence.” That will be useful. ’
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« Enfin, dit Bernard, le grognement s’arrête. Le sermon se termine. Il a réduit en poudre la danse des papillons blancs devant la porte. Sa voix rugueuse, hirsute, ressemble à un menton mal rasé. Maintenant, il retourne s’asseoir en titubant comme un marin soûl. Cette démarche, tous les autres professeurs vont tenter de l’imiter ; mais ils sont si falots, si mous dans leurs pantalons gris, qu’ils vont juste réussir à se rendre ridicules. Je n’ai pas de mépris pour eux. À mes yeux, leurs singeries sont pitoyables. Je note ce fait, avec beaucoup d’autres, dans mon carnet, pour m’y reporter plus tard. Quand je serai adulte, j’aurai un carnet avec moi – un livre épais, rempli de feuillets classés méthodiquement. J’y écrirai mes phrases. À la lettre P, il y aura "poudre de papillon". Si dans mon roman je décris le soleil sur le rebord de la fenêtre, je n’aurai qu’à regarder à la lettre P, je trouverai poudre de papillon. Ça pourra me servir. L’arbre "ombre la fenêtre de doigts verts". Ça pourra me servir. Mais hélas ! Je suis si vite distrait – par un cheveu, entortillé comme un bonbon, par le livre de prières de Célia et sa couverture d’ivoire. Louis peut contempler la nature pendant des heures, sans ciller. Je n’y arrive pas, ou il faut qu’on me parle. "Le lac de mon esprit, que des rames ne viennent pas fendre, s’étale sereinement et s’enfonce vite dans une somnolence d’huile". Ça pourra me servir. »
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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
Messages
1. journal de bord des Vagues -30 ["poudre de papillon"], 24 septembre 2013, 14:42, par Elizaleg
Hou la la, tu es sur une pente dangereuse : je ne trouve rien à redire ! Entièrement d’accord pour l’ajout du "me" dans "Ça pourra me servir", et ton commentaire est un modèle de clarté. Bravo !!!