journal de bord des Vagues -32 [sous papier calque]
mercredi 2 octobre 2013, par
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(journal de bord de la traduction de The Waves de V Woolf)
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à peine quatre phrases et je mesure combien traduire est une construction-autre
à chaque mot, une décision à prendre
c’est intense
j’imagine qu’arrivée au bout de cette traduction des Vagues, je n’aurais qu’une idée : recommencer,
tant le choix opéré est ténu,
influencé sans doute par le moment, la qualité de l’attention portée, l’impalpable qui fait qu’on est en phase ou pas
(non pas en phase avec le texte original, mais en phase avec soi et ce que l’on arrive à dire du texte une fois traduit, en accord avec ses propres décisions)
il y a un effet mosaïque / distorsion
comme un paysage que l’on apercevrait sous papier calque
le calque, l’opacité, ce sont ses propres mots posés par-dessus les originaux
mais c’est momentané
une traduction serait toujours momentanée
c’est ce qui ferait la force du texte "géniteur", lui permanent, immuable,
alors que les mots d’autres langues se chevauchent, louvoient, cherchent à s’adapter, et balbutient, composent
pour ça que je présente sur mon site, toujours, le texte original
il ne s’agit pas de comparer terme à terme point par point, comme on rendrait une rédaction
les commentateurs (fidèles :-)) l’ont bien compris, qu’il s’agit de chercher la note la moins fausse, ou celle qui dise dans notre oreille "c’est mieux comme ça", pas de trouver la note juste
la note juste est dans le texte lui-même
le reste ça n’est que variations
après avoir fait mes choix, je suis allée regarder les choix de ceux qui se sont confrontés aux mêmes phrases
et chaque réponse est différente, chaque variation cohérente à l’oreille de celui/celle qui l’a faite
(encore une fois, pas question de comparer, juger, noter, traduire c’est un écho, un voyage vers, une tentative de)
(la seule note valable est celle du texte anglais, et il a 20/20)
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And now,’ said Neville, ‘let Bernard begin. Let him burble on, telling us stories, while we lie recumbent. Let him describe what we have all seen so that it becomes a sequence. Bernard says there is always a story. ’
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« Et à présent, dit Neville, que Bernard commence. Qu’il continue à marmonner, nous racontant des histoires, alors que nous sommes étendus. Qu’il décrive ce que nous avons tous vu de telle façon que cela fasse une suite. Bernard dit qu’il y a toujours une histoire. »
(Michel Cusin & Adolphe Haberer)
« Maintenant, dit Neville, c’est à Bernard. Il peut raconter ses inepties, ses histoires, tandis que nous sommes allongés dans l’herbe. Décrire ce que nous avons vu pour le transformer en continuité. Bernard dit qu’il y a toujours des histoires. »
(Cécile Wajsbrot)
« Et maintenant, dit Neville, que Bernard commence... Laissons-le s’embrouiller dans les histoires qu’il raconte, tandis que nous nous reposons, tranquillement couchés. Laissons-le décrire ce que nous avons tous vu, de sorte que son récit semble faire suite à un récit entendu déjà. Bernard dit qu’il y a partout des histoires. »
(Marguerite Yourcenar)
« Et maintenant, dit Neville, que Bernard commence. Laissons-le fredonner, nous raconter des histoires, pendant que nous sommes étendus. Laissons-le décrire ce que nous avons tous vu, qu’il le transforme en scène. Bernard dit qu’il y a toujours une histoire. »
(ma tentative)
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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
Messages
1. journal de bord des Vagues -32 [sous papier calque], 2 octobre 2013, 14:14, par Philippe
Je vais friser le sacrilège, mais on peut penser que dans l’esprit de VW aussi se bousculaient plusieurs textes et que celui qu’elle a retenu porte en lui des traces de ceux qu’elle a du laisser de côté. Peut-être alors que Marguerite Yourcenar avait entendu un de ces textes. Mais le tien me paraît vraiment très juste.
2. journal de bord des Vagues -32 [sous papier calque], 2 octobre 2013, 15:37, par brigetoun
le tien me semble le plus serré contre Virginia Woolf. Mais elles se tiennent d’assez près. Sauf la traduction-recréation (qui, à mon goût, est assez peu satisfaisante, heurtée, inharmonieuse, comme création) (celle de Cécile Wajsbrot)
3. journal de bord des Vagues -32 [sous papier calque] claquer le calque, 2 octobre 2013, 18:58, par Elizaleg
Hou la la ce soir je vais être (très) prétentieuse...
D’abord je dirai quand même que des 4 versions proposées, celle de notre hôtesse me semble en effet plus serrée tout contre VW, plus juste, comme disent mes prédécesseurs.
Je voudrais quand même emprunter quelque chose à celle de Cécile Wajsbrot et ce serait la manière dont elle se libère du "let him..." répété par l’emploi de l’infinitif.
Maintenant, l’expression de VW "while we lie recumbent" m’a irrésistiblement (bien qu’étant fort piètre latiniste) fait penser à Virgile, le tout début des Bucoliques :
Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi ...
Couché sous le vaste feuillage de ce hêtre, ô Tityre…
Je soupçonne notre Virginia de l’avoir fait exprès ; mais je me demande comment le suggérer en français, vu que nous n’avons pas (que je sache) de verbe de la même racine que "recubans/recumbent".
4. journal de bord des Vagues -32 [sous papier calque], 2 octobre 2013, 19:25, par Philippe
Suis espanté par le rapprochement d’Elizaleg.
Autrement, la traduction du « Let him » par « Laissons-le » pourrait passer pour un anglicisme (ce que je ne crois pas pour Yourcenar ou notre traductrice) mais si on veut l’éviter « Qu’il » est quand même plus naturel que « Il peut », non ?
5. journal de bord des Vagues -32 [sous papier calque], 3 octobre 2013, 08:55, par Christine Jeanney
c’est passionnant comme les interrogations peuvent influencer l’approche, et de voir comme quatre phrases de Woolf sont aussi fertiles !
un work in progress constant :-)
Merci à tous !
6. journal de bord des Vagues -32 [sous papier calque], 4 octobre 2013, 09:28, par danielle carlès
J’aime bien "embrouiller", mais c’est anecdotique.
Très latin en effet l’image des amis allongés, étendus, couchés, mais aucun mot vraiment satisfaisant en français (je cherche encore).