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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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extrait de YODLT

samedi 6 avril 2019, par c jeanney


« Dans une salle, l’artiste a suspendu des casques militaires, remplis de pièces de puzzle de couleur bleue qui représentent des morceaux de ciel. L’œuvre s’intitule PIECES OF SKY. À sa droite, une toile avec un verbe conjugué à l’impératif, atteins  ; atteindre (c’est bien ce que l’on attend de l’art).
Ça, ou la possibilité de ne pas oublier les multiples sens posés sur les multiples possibles et comment les pousser, doucement, mais avec une force têtue, quasi inébranlable, vers un if you feel like happiness.
Des demandeurs d’asile sont refoulés, des familles bombardées. La possibilité de ne pas oublier que de la musique morte, faite par les morts, dans le silence qui suit les explosions, est capable d’agir. Que la musique vivante tente d’agir.
Je veux agir.

Au mieux, je pourrais agir, créer, par exemple en écrivant sans intentions un roman qui offrirait "un portrait désenchanté du monde", avec la conscience presque tranquille. Puis, ayant fait mon possible, je me déliterais en particules dans l’espace, en décomposition sous la terre, en cendres dans une urne, et ce serait tout. D’un autre côté – et cela pourrait passer pour une sorte de consolation –, je suis loin d’être la seule. Et d’un autre côté encore, l’action de faire ce constat d’impuissance publiquement apporte encore moins que le rien, moins que le rien du rien qui ne sert pas, sauf à répandre encore un peu plus de grisaille et de délabrement moral dans des lieux ou en des instants qui, jusque-là, en ont peut-être été préservés.

Je ne peux pas agir contre – exactions, attentats, exécutions sommaires, contrebandiers et soldats décimant des populations entières d’êtres vivants, humains et animaux, à la kalachnikov, négation du droit à vivre et à s’exprimer, empoisonnement mercantile des mers, des terres, des végétaux, exploitation, dessèchement, harcèlement, froideur, souffrance, non-protection des plus faibles, injustice – mais je peux insuffler, même en quantité minime, à ma petite mesure, plus de grisaille, plus de désenchantement, rien qu’en constatant combien je suis impuissante, et en constatant l’impuissance des autres – ceux de "bonne volonté" – avec moi. Peut-être que je cherche cela avant tout : ne pas me sentir seule, quitte à emmener dans mon abattement tous ceux qui m’approchent, comme on tombe en tirant sur une nappe en emportant toute la vaisselle ?

Je suis capable de produire des pensées grises, poisseuses, naturellement. Je suis capable de les diffuser sans effort, comme on donne son rhume à quelqu’un. Je suis capable de distribuer cette sorte de substance molle ; ce défaitiste, cette noirceur ; ce cynisme, qui prend des airs de lucidité ; ce plomb qui bloque toutes les issues.

Si je ne doute pas de ma capacité à propager cette peste galopante, pourquoi mettre en doute ma faculté de diffuser quelque chose d’autre, quelque chose de radicalement différent, d’opposé même, et dans les mêmes proportions ?
Alors, il faudrait être libre, se sentir libre, c’est peut-être là l’unique réponse à la question de la fenêtre penchée, libre de la voir s’incliner.
Avec la conscience de toutes les obstructions et de toutes les limitations, libre. »


Yoko Ono dans le texte

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • tu es au moins capable de cela, écrire cela et le faire lire.
    suis capable que d’envoyer une fleur chaque matin à une malade ou convalescente (en espérant qu’elle aura envie de donner des nouvelles en retour)
    ou de porter des charges un peu trop lourdes et de m’excuser parce que c’est si peu ce qui amène les "receveurs" à avoir pitié et vouloir me protéger ce qui est déjà ça
    et puis, mais de moins en moins, deviens lâche ou résignée, à monter au créneau quand j’entends un jugement méprisant sur quelqu’un
    le tout est de ne pas s’en satisfaire (et d’admirer ceux qui agissent davantage)

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