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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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[Oblique (textes /premier jet)]

Le son du violoncelle

lundi 25 novembre 2013, par C Jeanney

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Le son du violoncelle frôle la surface du mur, s’infiltre entre les lamelles, les fait bouger menu menu, et lorsque le rideau se lève c’est un décor de cierges et de costumes noirs. Des cagoules longues et violettes, d’autres blanches – les trous ronds pour les yeux inquiètent davantage – balancent au rythme de la procession. La madone, toute bardée de lumières, de secousses, frôle le bord d’un balcon, là où un fils se penche, demande à être pardonné, avance la main. Ils sont tellement nombreux et tant de mains la cherchent. Dans l’encadré qui va du front aux pupilles luisantes, sa peine, tous les jours reconstruite, avec sous son oreille une tige de fer du temps où on l’a réparée. Elle fixe éperdument un point inaccessible, ou reste à l’abri de son rêve, tant d’images à étreindre, un grand corps transpercé, une joie neuve, le rêve est très complexe, elle s’est perdue dans le dédale, refuse d’en partir, son sommeil la protège et tous les autres assistent à sa nuit déployée. Il y a des enfants sur les marches les plus hautes pour surveiller de loin en mangeant des beignets, des tables roses avec des nappes, et sous la cloche, un grand drap d’or, tout décoré. C’est elle encore qui se déroule en vagues, bras écartés sur le tissu, les pieds juste au-dessus des franges. On dirait qu’elle marche sur une terre de brindilles virevoltantes, c’est le vent, sur une terre factice qui ne connait pas le poids de la chute. Le son du violoncelle passe juste à côté, la survole, une certitude dans le noir.
Et les yeux tout autour, les pas, les mains et les visages portent tous, comme elle, leurs propres fresques. Si les murs se chevauchent c’est que les fresques sont vivantes, se développent, les flaques d’eau s’étendent, se cherchent, s’embrassent, marée montante. Les lambeaux de brouillard mélangent les reliefs, inversent les colorations, donnent de la douceur à ce qui agrippe et cisaille. Les fresques sont capables de se rejoindre, même venues d’endroits éloignés, même brisées, les fresques marchent en dodelinant de la tête et s’abreuvent, se remplissent, n’ont pas besoin d’être complètes pour exister.
Il y a le mont comme un mamelon et le chemin qui en descend part vers Ceprano. On y a retrouvé un fragment de canon, rose, vieux rose, rouille, cette couleur ancienne et douce qui contredit la mort. Le canon est couché sur l’herbe délicatement, fixé et rehaussé par un pavé rectangulaire, on dirait un cierge de pierre. Le char n’est plus qu’une plaque tordue, piquetée, et les agriculteurs ne se rappellent plus très bien.
De l’autre côté du mamelon, un autre chemin part vers Santopadre, puis vers d’autres hauteurs. Il y a une cascade d’eau turquoise que l’on prend en photo, un restaurant, des écriteaux, une autre église et cette idée qu’on est au centre de la Ciociaria, la région de la pauvreté, on marche avec aux pieds seulement des sandales.
Celui qui est parti, venu ici, le cordonnier, savait-il fabriquer les ciòcie, et que s’est-il passé.
Ici, dans ce village, ou le village voisin, c’est une autre madone qui porte aux yeux et sur le front sa peine toute dure. S’extraire, vouloir s’extraire, garder le rêve ou dérouter le cauchemar. Se mélangent les fresques, elle fixe un point inaccessible. Un prêtre, à quelques kilomètres, est mort d’avoir voulu porter secours. Où sont les mains qui demandèrent pardon, et l’ont-elles fait. Ceux qui entaillèrent les murs, cette lourdeur, ce heurt. Ceux-là qui déversaient l’oblique. Et ils riaient. Ce qui n’a pas de nom et n’en mérite pas, malgré ceux et cela.
Il faudrait écouter longtemps le violoncelle, avec lui d’autres, très nombreux, qu’ils s’assemblent, qu’ils caressent les murs à voix basse, longuement. Qu’ils donnent toutes les nuances, vapeurs fauves, grâces tremblées. Qu’ils tordent et reprennent les rêves au tout début, qu’ils en surveillent les suites. Qu’ils cajolent les fronts, soulagent les paupières, tant de murs, tant de temps, longtemps les écouter. Sinon comment faire sur cette terre qui chute pour être consolé.


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