journalier 08 01 16 / no lo so
vendredi 8 janvier 2016, par
– la question du temps, comment il se tord, comme on le tord, comment on le laisse tordre, comme des tambours qui rythment à la baguette et faut marcher, accélérer dans les descentes ou les virages alors que c’est beau sur les murs, ou c’est parlant, ou ça veut dire quelque chose que l’on rate, fou ce qu’on rate
– ce n’est pas la question du stop, de se débrancher des infos, c’est la question de l’équilibre entre le rythme du monde et le rythme qu’on a de la compréhension du monde, et le rythme de fuite qu’on imprime en nous-mêmes et qui est amplifié par la fuite du monde, comme si ça détalait, de grandes courses sporadiques en mouvements d’oiseaux de bord de mer qui partent en virgule gigantesque, tous ensemble d’une puissance qu’on a l’impression que tout tremble puis ça se pose et ça reste statique, comme sidéré et on ne sait pas pourquoi
– ne pas se laisser faire, dans le temps de l’écrit, choisir le temps écrit
– qu’est-ce que ça fait un livre que l’on prend et on en change chaque mot pour le remplacer par le mot suivant dans le dictionnaire, ou le mot dix pages plus loin, ou celui qui occupe le même rang à la lettre suivante dans l’ordre alphabétique, qu’est-ce que ça fait un livre qu’on traduit à la machine moulinette d’un traducteur automatique, d’abord dans une langue, puis dans une autre, en plusieurs langues qui utilisent les lettres, puis d’autres qui utilisent d’autres signes, en bengali বাঙালি, en ourdou اردو, en malayalam മലയാളം, et retour en français, qu’est-ce que ça fait de s’insérer dans ce livre à mots décalés par l’alphabet ou le passage dans d’autres langues, entrer, utiliser cette matière formée et déformée comme un nouveau terrain, nouveau cadre, utiliser cet inconnu, cette matière incompréhensible ou éloignée de soi (tout comme ce qui se passe autour de soi est souvent inconnu et incompréhensible et éloigné de soi), mettre les mains à l’intérieur, y entrer, faire un pas en avant, investir (il est bien ce verbe "investir", dommage qu’il ait été trafiqué par les investisseurs-bourses-dividendes-pénuries-monopoly, il faudrait le chlorer, rendre le verbe investir un peu plus nouveau né, sans bactéries), investir cet espace d’un livre absurdement tronqué et malaxé, par le hasard, par la syntaxe, par l’ordre communément admis des lettres ou par les données d’un programme sans sentiments, y entrer et qu’est-ce que ça fait, un livre base, un livre toile support hasardeux, un livre mais lequel, un parmi tous, parmi les préférés, ceux qui construisent, ou un qui fasse symbole comme La Modification ou La Métamorphose, comment on s’en emparerait, choisir, choisir, qu’est-ce que ça ferait
– que ça ne se sache pas, que les rouages restent invisibles, comme un hommage secret, un geste de vieille superstition antique, intime
– ou au contraire que les rouages se voient, que la mécanique soit ventre à l’air comme Beaubourg avec ses canalisations apparentes
– ou choisir de doubler, choisir de ne pas choisir entre les deux, garder des parties apparentes et d’autres pas, comme l’écorché qui montre d’un côté la peau et l’apparence humaine, coquille carapace, et son autre profil de tendons et de veines, rouges, bleues, de petits fleuves à nus
– prendre des notes pour nourrir la machine :
le nom du linge blanc qui servait à la fois au baptême et au cercueil dans l’enfance de Shakespeare et ce vers avec golden boys où il nomme les pissenlits fleuris, boules jaunes, retrouver le nom autre qu’il donne aux pissenlits blancs proches de s’envoler
le travail d’une barge sur un fleuve, équipée d’une pince métallique, elle fouille l’eau et remonte des centaines de vélos imbriqués les uns avec les autres, cette sculpture
– avoir un titre en tête (à chaque fois pour moi ça commence par un titre, Lotus seven, Oblique, un titre indéboulonnable, et le travail c’est aussi ne pas quitter le titre des yeux, qu’il soit le liant, le mastic pour faire en sorte que tout l’appareil bouge autour de lui, un titre en main-courante, mais le travail c’est aussi de ne pas se limiter à lui, d’éviter que tout se referme sur ce titre et s’affaisse en dedans, comme une planète qui implose et ça fait un grand trou perdu
– ce que ça dit, une photo de l’univers connu (au présent, une photo d’ici maintenant, neuve aujourd’hui mais racornie plus tard), ce que ça dit, les limites, les plis sombres, les angles morts, la structure, comment ça s’organise les acquis, les fulgurances cernées par la bordure étanche, poreuse, et les no lo so permanents
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Messages
1. journalier 08 01 16 / no lo so, 10 janvier 2016, 10:37, par Dominique Hasselmann
"Un titre en main-courante"... ça ferait un beau titre !