Très sérieusement j’aimerais bien savoir comment me débrouiller avec le temps, j’ai la chance d’en avoir beaucoup parce que je ne suis plus sur le marché du travail (la laide expression), mais je ne m’en sors pas, je le dépense à vau-l’eau, il est comme l’enveloppe de papier kraft toute chiffonnée de secundo lopez (le film que j’ai vu il y a deux jours) qui contient tout son argent et qu’il ouvre sans arrêt, pour du jambon, pour acheter un manteau à un petit mendiant, pour se payer une chambre de bonne, des fleurs en papier, des beignets, de l’alcool et offrir une machine à coudre par amour. Un jour l’enveloppe est vide, mais secundo lopez ne s’en émeut pas plus que ça, il continue à dépenser le peu de billets qu’il récupère, par souci de leur utilité sur le moment. Il a peut-être la solution, la bonne façon d’envisager le problème. Comme lui, je dépense mon temps sans compter parce que je l’utilise sans orientation autre que la réaction du moment. Et en ce moment, j’ai des moments, des moments réactifs auxquels répondre, parce qu’ils se présentent comme ils se présentent. Je veux lire, j’ai une montagne de livres à lire, Vinciane Despret, Mona Chollet, Laura Vasquez, Louise Bentkowski, Emmanuelle Pireyre, Ngugi-wa Thiong’O, Jean-Loïc Le Quellec, Pierre Clastres, Julien d’Huy, Antonio Lobo Antunes, et autant de textes en ligne. Je veux rassembler des notes autour de Woolf issues de trois sources différentes, écrire NT, et pour écrire NT je dois « sortir », c’est-à-dire engranger une matière qui se trouve à l’extérieur de moi, avec Philippe Descola, l’anthropologie, les mythes, les recherches en sciences humaines et sociales, avec l’actualité, avec l’histoire en dehors des héros, comme les souvenirs d’un petit garçon breton au début du XX siècle (une sorte de revue auto-editée de 2002 qui traînait dans une salle d’attente et que j’ai honteusement volée hier, non, pas honteusement, sans états d’âme parce qu’il restait d’autres magazines à lire pour les patients qui n’attendent jamais longtemps dans cette pièce, comme des Paris Match d’il y a dix ans avec Anne Sinclair en couverture et des plaquettes de conseils en nutrition). Tout ce que je lis et écoute peut me servir à nourrir NT, sauf que je ne sais pas à l’avance ce qui servira, comme je ne sais pas à l’avance ce que je vais écrire dans ce block note, c’est seulement après coup que je comprends l’utilité de mon enveloppe de papier kraft, et si elle se vide entièrement, comme secundo, je guetterais les indices du retour de la bonne fortune.

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