block note - gouttes
lundi 3 mars 2025, par
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Roland Barthes définit l’écriture politique propre aux régimes autoritaires comme un durcissement du sens des mots qui leur soustrait ambivalence et neutralité en leur associant un jugement moral, positif ou négatif.
« La séparation du bien et du mal occupe désormais tout le langage, il n’y a plus de mots sans valeur (...) , il n’y a plus aucun sursis entre la dénomination et le jugement. »
Par ex. dans la rhétorique de la Restauration :
(...) « les ouvriers revendicatifs étaient toujours des « individus », les briseurs de grève des « ouvriers tranquilles », et la servilité des juges y devenait « la vigilance paternelle des magistrats ». (Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Seuil 1953)On trouve aujourd’hui mille exemples de ces réductions lexicales ; le mot « quotidien » par ex. aussi simple et neutre que celui d’individu qui, depuis sa paisible et répétitive tranquillité, s’est vu déplacé du côté des difficultés matérielles louables de tous ceux qui, contrairement aux autres, travaillent sur le terrain au quotidien. Dans le commerce soutenu que nous entretenons avec nos compagnies d’écrans, c’est quasiment chaque phrase venant nous entretenir du monde qui doit être ainsi suspectée. D’une part le monde met le son plutôt fort, si bien que des pluies de données se déversent en masse dans nos intérieurs, mais d’autre part ces milliers de données ne nous sont pas livrées brutes et sont impropres à l’absorption immédiate, car emballées ; le déballage de paquets constitue une bonne partie de nos activités d’écriture.
(Emmanuelle Pireyre, Fictions documentaires, in Devenirs du roman, Inculte Naïve, janvier 2007)
La partie qui m’atteint en plein est : "D’une part le monde met le son plutôt fort, si bien que des pluies de données se déversent en masse dans nos intérieurs, mais d’autre part ces milliers de données ne nous sont pas livrées brutes et sont impropres à l’absorption immédiate, car emballées". Je capte (je voudrais capter) cette "pluie de données" dans NT. Je formule l’hypothèse que mon assemblage rendra les paquets un peu chiffons, écornés et fendus par endroits, qu’on puisse voir leurs contenus. En fait, je travaille le sous-texte sous la matière de textes qui existent en amont. Je voudrais qu’il s’en dégage une émotion, non, plusieurs émotions, et c’est d’abord moi qui doit les ressentir, parce que je n’écris pas depuis l’œil omniscient d’un dieu, mais au milieu de la pluie, à égalité avec n’importe qui d’autre pris dans la pluie. Le problème est dans la juxtaposition des paquets. Par exemple, ce matin, je réalise que je n’ai pas fouillé le thème de l’argent dans NT. Si je place les mots de l’argent très près de ceux de la guerre, ou de ceux de la nature, ou de ceux des corps, mes paquets ne s’ouvriront pas de la même façon, les sentiments ne creuseront pas les mêmes tracés, les reliefs en seront changés. Il y a cette technique qui consiste à placer deux images sur un support découpé en lamelles inclinées, et selon qu’on se trouve à un endroit on voit l’image numéro 1 ou la numéro 2 [1], et on peut même trouver l’endroit exact où la transition s’effectue, il suffira pour passer d’une image à l’autre de se pencher d’un côté ou de l’autre pour voir l’image 1 ou 2. J’imagine ça avec x images, un nombre d’images non arrêtées. Et j’imagine pencher depuis les lieux exacts, mais ces lieux glissent ; évidemment qu’avec un tel cahier des charges mon NT avance comme un vieil âne malade. Et je ne parle même pas de l’acidité de la pluie.
la "perspective curieuse" ou tabula scalata
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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
[1] je découvre que cela s’appelle la Tabula scalata
Messages
1. block note - gouttes, 3 mars, 19:08, par brigitte celerier
quel beau et salubre projet... oui un sacré travail que nous devons impérativement faire intérieurement mais pour le mettre en mots c’est encore plus ardu.. ceci dit toi seule en est capable et la voie est, tu men persuades, bonne.