TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - lingère

vendredi 19 septembre 2025, par c jeanney

J’aime que les couvertures de mes livres-Vagues soient toutes différentes, mais issues du même mode de fabrication. J’ai toujours été attirée par le singulier au milieu du formaté, c’est-à-dire par ce qui est réellement vivant au milieu du non-vivant. Et parfois le singulier est très commun. Il ne fait pas d’esbroufe. La première fois que j’ai écrit quelque chose, c’était à l’école primaire, une rédaction, et je m’en souviens parce qu’à l’époque la "meilleure" rédaction était lue à toute la classe. Je n’étais pas une bonne élève, souvent houspillée, remontrances, brimades, petites remarques humiliantes, et en retenue presque chaque soir. Mais j’avais deux moments à chérir : donner le ton à la chorale, parce que j’avais l’oreille et la voix juste, et être lue au moment de la "meilleure" rédaction. Je me souviens que ma meilleure "meilleure" rédaction racontait la journée d’un vieux couple qui faisait toujours les mêmes gestes à la même heure et passait toujours aux mêmes endroits, un couple de vieux, habitués à leurs habitudes, et j’avais fini mon histoire par quelque chose du genre "on les pensait en vie parce qu’ils avaient l’apparence d’être en vie, mais ils étaient morts". J’ai toujours été estomaquée par la différence entre l’apparence et le fond, et surprise aussi que cette différence ne soit pas forcément visible pour tout le monde. L’apparente beauté de l’écriture parfaite de la maîtresse cachait mal sa méchanceté gratuite. L’apparente finesse de certaines expressions comme la "sueur qui perle", le "ruban de la route qui défile" et le "frêle esquif" cachait mal leur paresse de clichés, leur manque d’imagination. Quand j’étais petite, mon rêve était d’écrire un livre. Je rêvais d’écrire Les Trois mousquetaires — avec les femmes qu’on y voyait, milady, vénale, fourbe, un obstacle sur la route des héros, une reine sans pouvoirs, sa lingère kidnappée, des figures négatives ou faibles qui ne me heurtaient pas, elles me semblaient "normales". Je voulais écrire un livre de garçon, avec les outils des garçons. Pour mon premier livre publié, j’ai utilisé le narratif d’un "je" d’homme. J’ai été particulièrement fière quand une lectrice m’a dit "je n’ai pas du tout senti qu’une femme avait écrit cette histoire". J’avais l’impression d’avoir réussi à dépasser le genre en me coulant dans un autre très "autre", très différent de moi, sans être démasquée, une sorte de prouesse. Ça s’est si mal passé avec l’éditeur du livre que je ne le mentionne pas dans ma liste de "a publié". J’ai voulu récupérer mes droits sur ce texte pendant un temps, pour me le réapproprier, après tout, c’était mon premier livre, ça comptait. Si je le reprenais aujourd’hui, il passerait directement de mes mains à la poubelle, parce que je n’y avais aucune conscience de rien. Il était naturellement neutre, c’est-à-dire masculin. Parfois j’ai l’impression que je viens juste de me réveiller, et que les vapeurs hallucinogènes se dissipent. Je rêve maintenant d’écrire un autre livre, NT, qui verrait plus clairement, qui se cognerait aux bordures sans s’imaginer qu’elles sont "normales". "Meilleure", "normales", sont autant des clichés que la sueur qui perle, manquent autant d’imagination. Finalement, est-ce que je rêve vraiment d’écrire un autre livre, est-ce que c’est le bon mot, "livre", est-ce que ce ne serait pas plutôt "archivage", ou "témoignage singulier très commun". C’est toujours un bouillon-minestrone de se demander ce qu’on fait et pourquoi on le fait, mais rêver d’autre chose est nécessaire, humainement. Les fous de dieu ne se torturent pas le cerveau, leur soupe est claire, les prédateurs avides non plus avec leurs rivieras bâties sur des cimetières. Leurs rêves tuent. Il n’y a pas de petits détails.

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • tout tout encore une fois, et dans ce tout je cueille
    " L’apparente beauté de l’écriture parfaite de la maîtresse cachait mal sa méchanceté gratuite. L’apparente finesse de certaines expressions comme la "sueur qui perle", le "ruban de la route qui défile" et le "frêle esquif" cachait mal leur paresse de clichés, leur manque d’imagination"
    et$"Les fous de dieu ne se torturent pas le cerveau, leur soupe est claire, les prédateurs avides non plus avec leurs rivieras bâties sur des cimetières. Leurs rêves tuent."
    et nous devons nous en sortir avec ces vérités (heureusement il y en a d’autres comme des fraternités de pensée et autres)

  • j’ai aussi cette impression : le rêve vient de finir... j’avais cette intention d’écrire aussi - ce rêve, là : je descends d’un train où j’ai laissé une valise de cuir bleue (de ce même cuir des chaussures que j’ai vues il y a quelques jours à la devanture d’une boutique aux Lilas) (laissée ou oubliée je crois bien) avec ma veste,je suis descendu parce que j’étais arrivé à destination : Macon. Dans le train j’avais laissé aussi C. la fille de mon ami sanaryote : elle me faisait "au revoir" de la main, dans le couloir de cette voiture ancienne où il y avait des compartiments et des photos des sites remarquables - dehors il tonne et des éclairs illuminent le noir de la nuit - il fait nuit (ce noir dont étaient faites les chemises de l’ordure - très nuit sur le monde des hommes neutres...)

  • en ces moments, je lis. Bref. je me pose aussi beaucoup de questions, surtout sur comment écrire autrement que "masculinement" alors que tous les outils de la langue telle que nous la connaissons ont été forgés depuis tant de temps pour une écriture "masculine". Je cherche, je cherche. Et aussi, le format du livre. Je me souviens, bloquée que j’étais dans l’écriture du Mémoire, un prof me délboqua d’une seule phrase/question : "vous savez que l’objet-livre est aussi un champs de recherche...?", ô illumination, j’avais ma première partie. Depuis, je cherche, je cherche, j’ai même envoyé une question à un papierpeintiste qui monte, qui monte, à savoir, existe-t-il ou a-t-il existé des rouleaux prêts à couvrir une pièce en son entier sans coupure ? C’est Blanche qui m’a répondu : "les décors de théâtre !!!", ben oui ! Vàlà, bonne journée...(la question du support est la première ? J’ai tellement envie de dire oui...j’espère que ce n’est pas une énième fuite, et encore même si que, c’est grave docteur ? Nan !)

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