TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - magnétique

samedi 11 janvier 2025, par c jeanney

Grâce à feedly je réalise que j’ai raté le dernier flotoir de Florence Trocmé du 31 décembre 2024, mais je n’en suis pas contrariée, je n’aurais pas réussi à le lire, le rejoindre, ce jour-là, alors qu’hier j’étais prête, sans doute à cause de ce qui se passe avec la citation, ce qui d’ailleurs travaille Guy Bennett dans son dernier livre (dont Pierre Ménard présente le principe sur Liminaire), ce que je n’ai jamais vraiment exploré frontalement mais qui pourtant sonne juste, je suis pétrie d’apports externes et la citation en est le point saillant. « La connaissance pourrait ne pas être supportable » ( tiré de La face nord de Juliau 17 et 18 de Nicolas Pesquès), que je reçois en plein, résonne avec un film impossible, dont l’idée m’a traversée il y a deux jours, qui serait la captation d’un temps sur terre, c’est-à-dire la prise de connaissance visuelle sonore de tout ce qui se passe au même moment, sans tri, la captation de toutes les intensités existantes, que ce soit un repas, un trajet, du vent sur tel ou tel paysage, une mort douce, brutale, une naissance dramatique, un chant, un échange, un sommeil, un jeu, une solitude, des retrouvailles, maladie, joie, travail, quotidien, hurlement, accident, sérénité, vide, emportement, une mosaïque de toutes les postures, toutes les situations et de tous les affects partout, sur toutes les latitudes et longitudes, dans toutes les catégories d’existence et d’êtres, avec toutes les visions données de physiques, les visages, les unions, les occupations, ce serait complètement impossible, car filmer chaque humain ne serait-ce qu’une seconde donnerait un film dont la projection durerait 250 ans, et donc un film inaccessible, par nature, tout ce réel impossible en devient au sens propre insupportable, car sans support, invisible. Et inaudible aussi, je repense souvent à cette idée que si la souffrance de quoi que ce soit de vivant sur cette planète sonnait comme une sirène d’alarme ce serait assourdissant, tous les tympans en éclateraient. Une connaissance insupportable. Et ramené à soi, la vue de son propre corps et des milliards de mécanismes internes qui le travaille, flux et veines et cellules, comment elles réagissent et ce qu’elles fabriquent, seraient pratiquement intenable. Et pourtant, l’humain désire connaître. Connaître son avenir pourrait lui être insupportable, et parfois son passé aussi, s’il le creuse, s’il en fouille les recoins, il ne le supporte pas. C’est comme un balancier à repousser, et qui revient toujours. Vouloir connaître et on repousse le balancier, mais c’est inaccessible, insupportable, le balancier revient. On passe une vie entière à composer avec ce mouvement, à jauger, à s’approcher, à viser un savoir qui se révèle trop lourd, ou obscur, et qui rappelle nos limites, pas seulement nos limites d’entendements, aussi nos limites face à ce qui nous est physiquement, et métaphysiquement, affectivement et théoriquement supportable. La connaissance est limitée par essence, mais presque aussi moralement, notre conception, notre empathie, ce qui fait notre cœur et notre âme n’est pas capable de la porter, la supporter. Alors on bricole. On prend une dose de savoir là, et là, et là, que l’on confronte avec ce que d’autres savent ici, ici, dans la limite des places disponibles comme on dit. En bons élèves, on fait au mieux, on se conforte dans l’idée de laisser peu de place aux angles morts et on écrit des comptes rendus. Mais savoir qu’on sait peu, c’est en savoir beaucoup, et savoir qu’on ne pourrait pas en savoir plus sans exploser, ça n’est pas rien, ça n’est pas rien savoir. On touche le bord. Enfin, on touche son propre bord. Jamais plus vaste. D’un côté, c’est presque plombant d’en prendre conscience, mais d’un autre côté, « La connaissance pourrait ne pas être supportable » apaise. Accepter le balancier. Relancer, recevoir. En jouer même. Plaisanter. Tenter des figures entre deux mouvements, relancer, recevoir, comme les enfants qui deux par deux se tapent les mains, tournent sur eux au rythme d’une comptine et chantent (mon père est garde-champêtre filipette, ou son équivalent dans toute langue). Je ne connais pas Nicolas Pesquès. J’ai accès au début de La face nord de Juliau, treize à seize.

Le 24 juin (2009)
ni représenter, ni saisir, s’engouffrer dans cette défection. ne s’occuper que de la magnétique de ce qui échappe, de ce qui meurt d’apparaître, son éloignement à chaque geste, à chaque nom émis et prononcé.

Je peux prendre cette citation comme un conseil, une mise en ordre de marche, un cahier des charges pour mon ouvrage en cours, NT, c’est sidérant.

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

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