block note - mental
jeudi 22 mai 2025, par

Je crois avoir compris pourquoi NT n’avance pas. NT qui est à l’origine de ce block note qui n’est pas censé être un journal mais une béquille pour écrire NT, une sorte de soupape de sécurité, de trop-plein, de dérivatif, d’accompagnement. Ce n’est pas que NT n’avance pas, ça n’est pas l’expression juste. Je ne laisse pas avancer NT. Je l’ai figé parce que j’ai peur de lui, peur de le prendre à pleins bras et peur de le finir, peur qu’il débouche sur rien, peur qu’il ne soit qu’un dispositif enroulé sur lui-même, sans air. La peur est une drôle de machine, parfois avoir peur de quelque chose fait exister cette chose. Il y a longtemps je suis passée sur un pont, une sorte de pont, plutôt une poutre au-dessus de l’eau. C’était je ne sais plus où, dans l’Est, en franche comté. Au-dessus de l’eau et tout étroit, et je devais marcher sans pouvoir me tenir et placer mes pieds l’un derrière l’autre sans faire d’erreur, sans dévier, sans trébucher pour traverser ce pont. J’avais si peur que mes jambes tremblaient, incontrôlables. Sur le papier je sais marcher, et si j’ai envie de marcher en suivant la ligne étroite que dessinent des pavés, ou un ruban peint sur le sol, je peux le faire sans dévier, sans tomber, sans trembler et même avec légèreté et l’impression de jouer, comme une enfant qui imagine un lac au lieu d’une flaque. Ce n’est donc pas l’acte "réel" qui m’est impossible. C’est l’acte "pensé", imaginé, la conscience que marcher n’est pas simplement marcher mais que marcher sur un pont étroit au-dessus de l’eau exige le sans faute, l’irréparable. J’avais tellement peur de tomber que tout mon corps visait cette chute, comme si c’était un objectif. Seule je serais tombée. Seule j’aurais fait exactement ce que je voulais éviter le plus au monde. J’ai traversé le pont parce qu’on m’a tenu la main. Parce que j’ai délégué à quelqu’un d’autre mon avancée. Parce que j’ai fait sans moi, que j’ai marché sans moi, qui n’était plus moi mais la peur. La peur avait pris mon corps, mes jambes, mon but. Je ne sais pas quelle est la solution, ce qui va arriver à mes jambes incontrôlables. Je tremble trop pour écrire NT par peur de ne pas savoir l’écrire. Ce que je redoute le plus, ne pas savoir l’écrire, est ce que je fais advenir. Comme si combattre la peur était la ranger derrière soi en lui donnant ce qu’elle désire, la peur me laissera tranquille si je lui dis que c’est déjà raté, déjà trop tard, je tombe, c’est un échec, et donc, plus besoin d’avoir peur. La peur, tu peux partir. Mais c’est idiot, une autre peur viendra, elles se collent toutes. Ce sera une autre peur qui agira sur autre chose, un autre pont, avec le même procédé. Alors comment je fais pour ne plus avoir peur. Peut-être que je donne trop d’importance à NT, comme marcher sur le pont n’a pas été marcher mais une question de vie ou de mort. C’est mon imaginaire de NT qui l’alourdit, qui en fait le fil du rasoir. Peut-être que je devrais reprendre NT depuis le début, mais pas son écriture, reprendre mon idée de NT, mon imaginaire de NT, pour le dépouiller de son manteau si effrayant. Comme la sorcière de l’Ouest qui fond dans Le Magicien d’Oz. Le seau d’eau, c’est la simplicité. C’est la conscience qu’il n’y a pas d’immanence, de tragédie, de point de non-retour, à part la mort. Je devrais laisser aller NT, lui lâcher la laisse, le laisser fondre dans le commun, le dérisoire, une marche semblable à des milliards de marches, une marche dans la foule. NT peut aussi être une fantaisie, une bricole, un essai, un malaxage, une expérience, une tentative, il n’y a rien à réussir et donc rien à rater. Le pont n’est qu’un croquemitaine dont j’imagine les pouvoirs. Je vais imaginer NT, le rêver en le plaçant ailleurs qu’au-dessus du vide sur une mince planche de bois, l’installer dans une plaine, coller autour de lui des plaques, des étendues, des bâches, ce qu’on appelle dans les jardins un peu trop humides et boueux des pas perdus. Perdus, se perdre, ne pas penser à un seul objectif, ne pas penser la fin, ne pas penser. Si j’arrive à marcher sans y penser, le pont fondra.


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Messages
1. block note - mental, 23 mai, 06:36, par brigitte celerier
décidément pas douée je ne comprends rien - comme toujours
1. block note - mental, 23 mai, 09:47, par c jeanney
c’est que je suis trop obscure (peut-être que je me parle trop à moi-même) :(((
2. block note - mental, 23 mai, 16:46, par PdB
je crois que c’est comme ça, on doute - on en est là (j’ai plus de eux cents pages d’articles uniquement du monde sur aldo : qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ? je suis là à lire, prendre des notes, écrire un bazar ici- de la prose poétique là (bouste) je me dis "il y a ça à faire "et puis il y aurait aussi et puis et puis...) ce que je lis sur NT en tout cas c’est que tu le prends et tu le couves (comme on dit du feu) il vient s’avance et continue - des braises : à cultiver à laisser infuser peut-être comme disait je ne sais plus qui, Michaud peut-être (je ne l’ai jamais lu, c’est sans doute un crime passible de la peine capitale) mais un jour,je crois que c’est Mathilde qui avait donné cette maxime en atelier d’écriture (il me semble me souvenir) ne jamais désespérer laisser infuser c’est plus facile quand on a un block note - il arrive(ra) ton NT :°))
3. block note - mental, 23 mai, 20:43, par cjeanney
Merci Piero ! (et puis aussi je me suis rendue compte de tout ce qui gravite autour d’un projet d’écriture et qui en fait partie, même si c’est éloigné, même si on a l’impression d’être inactif, presque malgré soi) (ton Aldo aussi avance, que tu sois visiblement sur ce chantier précis ou pas, je crois)