TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - nous

mardi 7 janvier 2025, par c jeanney

Moi aussi (j’aime énormément le moi-aussi, ce liant, ce lien) je me pose la question du « je » [1] et de son arrogance, parce que je le manie avec inquiétude, précautionneusement, que je voudrais parfois lui enlever ses tendons, l’édulcorer, faire exister à sa surface le nous qui le remplit. Je suis un nous de petit ouvrier de fonderie mécanique et de femme au foyer qui amidonne les cols, un nous de chien qui regarde le sol dans une barre collective où les entrées sont toutes sur le palier, un nous de verre de bibine sur une nappe plastifiée qu’on garde des décennies et d’une arrière-cuisine où mettre les plats argentés pour le mariage des autres, les bols posés avant la sucrerie, quand il fait encore nuit et qu’on part travailler à la mélasse de betterave. Aussi un nous de couturière qui doit se dépêcher de surfiler pestant contre l’arthrose qui gonfle ses phalanges. Plus haut, vers le passé, je suis un nous de cordonnier venu à pied en passant par les Alpes, un nous de colline de pierre où rien ne pousse et d’âne qu’on charge pour le marché de Frosinone, un nous de sueur et de harnachement, la tête baissée, parce que c’est dans l’ordre des choses, un nous de dominé, dominée, dominés, dominées, avec ses scrupules de ne pas faire de vagues comme on nous a appris. Bien se tenir. Ça se voit plus que dans ma langue, qui n’est rien que l’endroit d’où parle mon je qui est un nous. En ce moment ce que j’écris chaque jour est « nous ». Je vais plus loin, je l’étends. Je tire sur les bordures du « nous » et je l’étale comme de la pâte. Je voudrais arriver au « nous » de toutes les faces de nos poussières, merveilleuses et horribles. Un peu pour rendre compte, un peu pour enquêter, un peu pour ne pas abdiquer, on aura été là, on aura vu, on aura dit. On aura dit l’insupportable et comme on le supporte. C’est très impossible à écrire ce que j’écris. Alors j’écris dans ce block note pour me donner du nous qui accompagne.

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</


[1« [...] Est-ce que ma vie est ma vie ? Beaucoup de ce qui la constitue me semble venir d’autres vies. Et ces autres vies sont elles-mêmes liées à d’autres vies encore. Alors ce n’est plus ma vie à moi, mais celle de milliers, de millions de personnes. Ça part de moi, de ce "je", mais ça ne s’y limite pas. [...] » (Kaoutar Harchi dans Diacritik)

Messages

  • ne l’utilise que contrainte ce "je" pas uniquement parce que voudrais être nous mais parce que n’aime pas être je (ou avec grandes réserves.. comme si pouvais être un compromis entre quelques ancres du moi et d’autres je)

  • c’est très compliqué, on peut voir le je et le nous sous tous les angles, repousser, revendiquer, assumer ou réprouver, je ne sais pas s’il y a une « bonne » solution, en fait ce sera sûrement en phase avec chacun chacune, et en plus en phase avec des périodes de sa vie, changeant (quel boulot))))

  • hashtag moi aussi - après je ne suis pas certain pour le rézoscial (je n’y suis point mais j’ai survécu) (je survis, jusqu’à quand ?) - après pour Frosinone, ta grand-mère je me souviens de la porte aussi...

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