Il y a un équilibre à trouver entre laisser entrer ce que la curiosité appelle et repousser ce qui abime au dedans, bref, je louvoie entre écouter ce qui m’intéresse et me détourner parce que c’est trop rude. Ian Monk est mort. C’est une nouvelle indépassable. J’écoute des morts jouer du piano à la radio. On remarque qu’ils sont morts à cause du souffle qui accompagne le son, une sorte de frottement continu, mais qui se rétracte un peu face aux notes. Je suis toujours aussi perdue devant mon JDBDV, je n’ai toujours pas choisi le format, ni l’assemblage. Je ne me lance pas, parce que je ne sais pas quoi faire passer en premier. J’avais l’idée hier d’attraper ce travail en tresse : mettre en page en même temps et en alternance les trois sources (texte original, journal de traduction, texte traduit). Mais c’est contredire le titre, JDBDV, Journal De Bord Des Vagues, je devrais travailler le journal de traduction d’abord. Il faut faire des priorités, ce sont elles qui décident de comment faire, comment voir, comment s’en sortir. S’il y a une erreur à la base, une erreur dans l’ordre dans lequel s’emparer d’une idée, d’un paradigme, d’un détail, la suite sera faussée (cette règle vaut peut-être plus largement que pour un bricolage sur un bureau). J’écoute, j’écoute beaucoup de gens parler. C’est utile. Par exemple une figure que je croyais "de mon côté", progressiste, féministe, humaniste, est en fait très sèche et dogmatique, persuadée que ce qui vaut pour elle vaut pour tout le monde. Elle met sa famille au milieu du chantier, sans respect pour elle, sans respect pour ce qui est autre qu’elle. Elle pourrait dire "le monde c’est moi", tant elle a d’assurance. Si le manque de confiance en soi est un écueil, le trop de confiance en soi fait rouleau compresseur. C’est toujours une histoire d’équilibres et de déséquilibres, et de comment on rétablit la balance. C’est un travail de trapéziste sans figures imposées, parce qu’il n’y a pas de gestes corrects, exécuter la bonne virevolte n’est pas un but en soi, si on prend un peu de distance. NT plane sur mes journées comme le faucon pèlerin autour des cloches. "Combien de temps avez-vous mis à écrire x ?" demande-t-on à la dogmatique sècheresse sous couverture. "Très vite, je l’ai écrit très vite" répond-elle avec une sorte d’admiration auto-administrée. Nous sommes si différentes, que des mots soient écrits en dix secondes ou dix ans je m’en moque. La question, c’est toujours qu’est-ce qu’on met en premier.

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