block note - porte
mercredi 13 novembre 2024, par
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Tout ceci est bien intrigant pensa la chenille bleue dépassant l’araignée. C’est quand même difficile, un peu, il y a pire comme difficultés, de conserver une sorte de nœud de joie, comme un nœud de cravate, mais dedans. Ce que je peux entendre ou lire en une journée devrait m’attacher à ma chaise et m’empêcher de faire quoi que ce soit, mais, exactement comme le cerveau ne peut pas s’empêcher de penser sauf s’il est détruit, je ne peux pas m’empêcher, n’étant pas encore détruite, de tenter de fabriquer quelque chose. Mon texte, ce texte dont j’ai parlé ici, s’appelle Nos Tribus, il court dans ma tête tout au long de la journée, j’ai besoin, pour lui, à cause de lui, pour le remplir, d’écouter et de lire ce qui se passe, ce qui s’est passé, et chaque sujet vient écraser la joie, sans le faire exprès, juste en étant lui, avec ses données crasseuses, ou désarmantes de bêtise, d’avidité. Le hasard objectif me nourrit, je découvre des créations filmées, écrites, racontées, qui viennent dire quelque chose à ce que raconte, comme un accompagnement lointain, cette histoire de tout, total, totalité, est au milieu, sauf que je sais pertinemment que la mienne est une totalité ponctuelle, personnelle, humaine, imparfaite, limitée, vouée à perdre, mais je ne suis pas sûre pour d’autres, d’où ça parle et à qui. Par exemple, je commence à lire un texte, étrange, prenant, énigmatique et interpelant pour moi, un homme mort sur scène qui parle, et qui parle de ses morts, plusieurs, toutes différentes, une sorte d’homme buvard, kaléidoscopé, avec des traits qui changent, comme un objet qu’on tourne sous toutes les coutures change de profil, et qui serait tous les hommes racontant toutes les morts d’hommes, leurs morts universellement détaillées et embrassées en un tout. Normalement, je devrais suivre, être emportée par ce texte, qui, en plus d’être ce qu’il est, répond à ce que j’écris, mais non, je referme la porte (le livre), car c’est un texte d’homme qui suppose qu’un homme le lise. Ça, ça n’est pas interrogé. L’« adresse faite à » est rétrécie. Justement, dans cette sorte de kaléidoscopé-tentant-de-brasser-large-un-tout-imparfait que je suis en train d’écrire, je veux que chaque phrase puisse être lue indifféremment, homme ou femme. En le faisant, je réalise à quel point je ne voyais pas. C’est l’utilisation du « nous » qui donne ça. Si j’écris « nous sommes stupéfaits », je le réalise, et je reprends, « nous sommes dans la stupéfaction ». Et je me dis que c’est dommage, pour ce texte-livre fermé, s’il veut montrer que toutes les morts sont nos morts, qu’il reste campé dans son genre, en laissant l’autre genre étranger. Finalement, ce n’est pas moi qui ferme la porte (le livre), c’est plutôt qu’on me l’a fermée sans même s’en rendre compte, par ignorance ou habitude. Je sais que certaines matières me sont extérieures, impossibles à atteindre, mais si ceux qui les fabriquent les pensent disponibles, accessibles, c’est d’autant plus interdit, et durement, et c’est peut-être une des particularités de la violence symbolique de s’exercer en toute innocence. J’écris et momigamise à tout va. J’écoute des histoires de mécanisation industrielle, et hier j’ai vu une voiture qui se prenait le pouls avec son propre stéthoscope.
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Messages
1. block note - porte, 13 novembre 2024, 19:16, par PdB
(je me disais que ce n’était pas vraiment son pouls - la "fiancée mécanique" disait de l’automobile je crois bien Baudrillard) (Jean))
2. block note - porte, 13 novembre 2024, 19:20, par cjeanney
son torse alors, ou son biceps :-)))