TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - tordu

mardi 18 février 2025, par c jeanney

Mon problème avec l’écriture d’NT, c’est aussi le temps, mon idée d’un temps large et englobant, un temps embrassé, un embrassement, les phrases comme des bras qui étreignent un temps long. Des phrases qui mettent sur le même pied d’égalité nous décorons nos grottes / nous prenons l’autobus. Nous vu de loin, une entité. Un nous comme en auraient les cachalots ou les coléoptères. Un nous de tout temps, en tout lieu. C’est ce que je veux, être très très loin pour voir mieux. Je veux placer dans ce grand paysage un geste du matin, comme appuyer sur un interrupteur pour avoir la lumière, et qu’il soit un point neuf à l’échelle des générations, mais juste un point, pas plus qu’une tête d’épingle, au milieu d’autres points plus larges, des gestes faits et refaits des centaines d’années, des milliers. Ce qui place de l’humilité. L’éphémère et ce qui perdure. Je veux prendre le ruban du temps sans distinction, relier. Comme les traits tirés entre les chiffres et à la fin on découvre une forme, ce jeu d’enfant. Sauf que l’ordre de mes chiffres est chaotique, non linéaire. Et la forme incernable. Pas de début, pas de fin. Ou s’il y a un début, il est flou, et perdu dans l’obscur, et la fin inconnue. C’est mon idée d’NT. C’est pourquoi j’ai du mal en ce moment, à cause des fins partout. Des extinctions d’espèces. En ce moment s’installent des fins. La fin du ciel connu depuis le début du ruban. Bientôt, quand on lèvera la tête la nuit, chaque point lumineux sera un satellite ou une poubelle à la dérive dans l’espace. Fin de l’eau non toxique, nous la première génération depuis le tout début obscur à vivre sous la pluie non potable. Et même les animaux que nous ne connaissons pas, qui ne sont ni encore nommés ni étudiés, contiennent déjà et avant qu’on les trouve des fragments de plastique en eux, nos plastiques. Mon idée de temps pour NT est écorchée par les nouvelles du jour, pilée, chaque heure qui vient envoie ses coups de boutoir. Le temps est très court en ce moment, court comme la longe d’un animal qu’on raccourcit pour l’immobiliser, ou court comme dans l’expression haut et court pendez-les. Je peux toujours tenter d’attendre que les choses se calment, que les matins se calment, que les nouvelles du monde arrivent moins acides, moins boueuses, moins perçantes, mais ça n’arrivera pas je crois, la pente du toboggan est trop forte, trop glissante. Peut-être qu’elle l’a toujours été, et que vouloir écrire NT éclaire ce déjà fait, déjà derrière. L’impression de devoir nager dans l’autre sens, je ne suis pas équipée en ce moment. Ou peut-être que penser le temps court m’immobilise, parce que la montagne est sur moi, je perds de vue mes pieds, les seuls leviers que je puisse activer. La solution serait de me limiter à ne penser qu’à un jour à la fois, sauf que chaque jour est singulièrement torve.

image tirée de l’article Pollution céleste :
les constellations de satellites
menacent la recherche scientifique
et la protection de la Terre

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

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