TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - vécu

lundi 16 décembre 2024, par c jeanney

J’écris NT point par point, gramme à gramme, une miette après l’autre. Je continue à lire Herta Müller, traduite par Claire de Oliveira :

« Oui, l’écriture est une nécessité intérieure qui vient à bout d’une résistance intérieure. J’écris toujours pour moi et contre moi. Pour mettre une chose par écrit, j’attends toujours qu’elle soit inéluctable. Je retarde le moment de l’écriture, sachant que dès le début, elle m’envahira tellement que j’en aurai peur. Une fois que je suis dedans, elle m’avale complètement. Le langage abolit le temps, il embarque le vécu dans une recherche méticuleuse du mot, de la cadence, de la sonorité. Cette minutie a sa rudesse, et une force d’attraction à laquelle je n’arrive pas à échapper ; mais comme elle est aussi enveloppante, je crois qu’elle me sauvegarde. Ce magnétisme de l’écriture existe pour de bon, sinon j’y aurais renoncé depuis des années. Si je parle de rudesse, c’est peut-être aussi parce que je ne choisis pas mes sujets, qu’ils doivent beaucoup à l’arbitraire extérieur, à cette vie volée. Je parle de sauvegarde, sans doute parce que je me pose cette question : suis-je moins atrocement à la merci du vécu parce qu’au bout du compte, ces mots si difficiles à trouver me viennent en aide ? Les mots engendrent une sorte de soif des mots : de nouveaux vocables se forment, et ils me montrent des choses qu’autrement je n’aurais pas vues.
Quand j’écris, le vécu m’observe une nouvelle fois, et il me jette un autre regard : un regard vitreux, tout sauf naturel, comme si le vécu se connaissait à la perfection, tout en s’ignorant totalement. Ce qui s’est déjà produit se reproduit, quand on écrit. Dans le vécu, par conséquent, rien n’est achevé. La réussite ou l’échec de l’entreprise tiennent à la langue : mes hésitations et ma peur de ne pas être à la hauteur de ce regard vitreux, peu naturel, viennent de ce dilemme. J’ai beau hésiter, j’en viens toujours à me mettre à écrire, à un moment donné. Je me fie à l’écriture depuis des années, je crois. Et donc, au fil du temps, j’ai adopté cette habitude extérieure à moi : à l’aide du langage, j’essaie de jeter un nouveau regard sur ma vie, ce qui suppose de l’endurer une seconde fois. Pourtant, au sein de cette habitude, j’ai toujours peur d’un double échec, de n’arriver ni à l’observer de nouveau, ni à l’endurer une seconde fois. Ce double doute est nécessaire, sinon on a déjà perdu, au fond.
 » (Tous les chats sautent à leur façon)

Je commence à lire Clarice Lispector (Un souffle de vie), traduite par Jacques et Teresa Thiériot.

« J’ai peur d’écrire. C’est si dangereux. Qui l’a tenté le sait bien. Danger de toucher à ce qui est occulte – et le monde n’est pas à la surface, il est caché dans ses racines immergées dans les profondeurs de la mer. Pour écrire, je dois me placer dans le vide. C’est dans ce vide que j’existe intuitivement. Mais c’est un vide terriblement dangereux : dont j’exprime du sang. Je suis un écrivain qui a peur du piège des mots : les mots que je dis en cachent d’autres – quels mots ? Peut-être les dirai-je. Écrire est une pierre lancée dans un puits profond.
[...]
Je veux une écriture incongrue et structurée comme le résultat d’équerres, compas et angles aigus d’un étroit triangle énigmatique. »

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

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