journal de bord des Vagues -125 ["Le soleil n’était plus au milieu du ciel."]
mardi 24 octobre 2023, par
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(journal de bord de ma traduction de
The Waves de V Woolf)
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(après le chant funèbre de Rhoda, on assiste à la suite de la course du soleil dans le ciel, dans ce roman qui est censé durer le temps d’une journée)
– le passage original
The sun no longer stood in the middle of the sky. Its light slanted, falling obliquely. Here it caught on the edge of a cloud and burnt it into a slice of light, a blazing island on which no foot could rest. Then another cloud was caught in the light and another and another, so that the waves beneath were arrow-struck with fiery feathered darts that shot erratically across the quivering blue.
The topmost leaves of the tree were crisped in the sun. They rustled stiffly in the random breeze. The birds sat still save that they flicked their heads sharply from side to side. Now they paused in their song as if glutted with sound, as if the fullness of midday had gorged them. The dragon-fly poised motionless over a reed, then shot its blue stitch further through the air. The far hum in the distance seemed made of the broken tremor of fine wings dancing up and down on the horizon. The river water held the reeds now fixed as if glass had hardened round them ; and then the glass wavered and the reeds swept low. Pondering, sunken headed, the cattle stood in the fields and cumbrously moved one foot and then another. In the bucket near the house the tap stood dripping, as if the bucket were full, and then the tap dripped one, two, three separate drops in succession.
The windows showed erratically spots of burning fire, the elbow of one branch, and then some tranquil space of pure clarity. The blind hung red at the window’s edge and within the room daggers of light fell upon chairs and tables making cracks across the lacquer and polish. The green pot bulged enormously, with its white window elongated in its side. Light driving darkness before it spilt itself profusely upon the corners and bosses ; and yet heaped up darkness in mounds of unmoulded shape.
The waves massed themselves, curved their backs and crashed. Up spurted stones and shingle. They swept round the rocks, and the spray, leaping high, spattered the walls of a cave that had been dry before, and left pools inland, where some fish stranded lashed its tail as the wave drew back.
mon gros souci dans ce passage sera de composer avec les "comme"
(ce qui fait penser au "Like" and "like" and "like"—but what is the thing that lies beneath the semblance of the thing ? dans le passage précédent)
trop de "comme" tue le comme
et toujours ces mots groupés, noms + adjectifs indissociables, dont j’aurais parfois envie d’ignorer l’un ou l’autre pour garder en français la légèreté, la rapidité resserrée de l’anglais
beaucoup de comme et beaucoup de hasard
shot erratically
random breeze
beaucoup de temps suspendu
puis repris
comme la libellule en lévitation qui d’un coup fuse
c’est le mouvement des vagues
le ressac
qui s’inscrit dans les mots
mais s’élargit au monde décrit
car il y a tout
une métaphore de monde, une idée d’univers
sans les humains
sans la mention de "on voit" ou "on peut apercevoir", un monde sans soi, un monde sans personne
une île au ciel, immaculée
(on which no foot could rest)
il y a des animaux, mais ils sont comme vus au ralenti
les sons ne sont que craquements ou frémissements
tout est calme et brûlant
c’est vaste, il n’y a que la lumière
et bien sûr la dernière phrase est la plus périlleuse
longue, complexe
elle doit finir sur la vague en retrait
on sait que ça va s’élancer ensuite
sauvagement
que le temps de la sérénité a connu son apogée ici
c’est l’avant chute
on est sur le point de tomber
on se débat encore un peu
(une queue de poisson, à ras du sol)
mais pas d’espoir de freiner le goutte à goutte
ou la course des flammèches sur la mer
– ma proposition
Le soleil n’était plus au milieu du ciel. Ses rayons s’inclinaient et tombaient à l’oblique. Ici, ils s’accrochaient à la crête d’un nuage, le brûlait d’une tranchée de lumière, une île ardente sur laquelle aucun pied ne se poserait. Puis un autre nuage se faisait prendre, et un autre, et un autre, si bien que les vagues dessous étaient criblées de flèches aux empennages de flammes, imprévisibles, transperçant de leurs pointes le bleu vibrant.
Les feuilles les plus hautes de l’arbre crissaient dans le soleil. Elles bruissaient, durcies sous les aléas de la brise. Les oiseaux se tenaient immobiles, excepté pour la tête qu’ils tournaient vivement d’un côté et de l’autre. Ils avaient cessé de chanter, comme s’ils étaient gorgés de sons, rassasiés par la plénitude de midi. La libellule, équilibre arrêté sur le roseau, lança soudain son aiguille bleue à travers l’air. Un bourdonnement au loin paraissait émerger du frottement décousu d’ailes très fines, dansantes et sinueuses à l’horizon. L’eau du fleuve enserrait maintenant les roseaux qui tenaient droit, comme cerclés de verre ; puis, le verre se ridait, le roseau s’inclinait profondément. Pensif, tête baissée, le bétail dans les champs posait difficilement une patte après l’autre. Tout près de la maison, le robinet ne coulait pas, comme si le seau était enfin rempli, puis il lâcha séparément une, deux et trois gouttes à la suite.
Les fenêtres dévoilaient par moments des taches de feu, le coude d’une branche, puis un espace serein de pure clarté. Le store rouge, tiré jusqu’au rebord, couvrait la pièce de dagues de lumière qui, en passant sur les tables et les chaises, griffaient laques et vernis. Le vase vert se bombait largement, une fenêtre blanche étirée sur son flanc. La lumière repoussait la noirceur avant de se répande à profusion dans les recoins et sur les arrondis ; l’obscurité se rencognait en ombres bosselées, informes.
Les vagues se ramassaient, le dos courbé, puis s’écrasaient. Elles faisaient gicler les galets et les pierres. Elles balayaient le bord des roches, et les embruns, jaillissant haut, éclaboussaient les murs de grottes jusque-là restées sèches, abandonnant des flaques à l’intérieur des terres, et la queue d’un poisson échoué s’y agitait encore avant que la vague se retire.
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( work in progress )
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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</
Messages
1. journal de bord des Vagues -125 ["Le soleil n’était plus au milieu du ciel."], 24 octobre 2023, 15:03, par brigitte celerier
Virginia et en prime en contrepoint la belle méditation de Christine
1. journal de bord des Vagues -125 ["Le soleil n’était plus au milieu du ciel."], 24 octobre 2023, 18:32, par C Jeanney
Merci Brigitte !
En relisant, j’ai de petites fiertés avec certaine phrases où je pense avoir réussi à franchir le pont (ou la flaque comme dirait Rhoda)
et j’essaye de ne pas me laisser séduire par une solution trop facile
(attention , je vais cafter
pour la dernière phrase, M Yourcenar a totalement renversé la phrase qui la gênait, comme on retourne une chaussette
je recopie ici sa traduction :
("Quand le flot se retirait, il laissait derrière soi des flaques sur le rivage, avec parfois un poisson frétillant, abandonné.")
c’est vrai qu’en coupant directement et sans états d’âme la phrase en deux, en commençant la seconde moitié par la fin et en virant des mots comme stranded et tail, on s’en sort assez lestement) (à ce stade, c’est même impérial)