TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

JOURNAL DE TRADUCTION DES VAGUES #WOOLF

journal de bord des Vagues -158 ["Comme des conspirateurs"]

mardi 19 décembre 2023, par C Jeanney

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(journal de bord de ma traduction de
The Waves de V Woolf)

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(après une sorte de conversation, Rhoda et Louis s’adressent l’un à l’autre)

 le passage original

(’Yet, Louis,’ said Rhoda, ’how short a time silence lasts. Already they are beginning to smooth their napkins by the side of their plates. "Who comes ?" says Jinny ; and Neville sighs, remembering that Percival comes no more. Jinny has taken out her looking-glass. Surveying her face like an artist, she draws a powder-puff down her nose, and after one moment of deliberation has given precisely that red to the lips that the lips need. Susan, who feels scorn and fear at the sight of these preparations, fastens the top button of her coat, and unfastens it. What is she making ready for ? For something, but something different.’
’They are saying to themselves,’ said Louis, ’"It is time. I am still vigorous," they are saying. "My face shall be cut against the black of infinite space." They do not finish their sentences. "It is time," they keep saying. "The gardens will be shut." And going with them, Rhoda, swept into their current, we shall perhaps drop a little behind.’
’Like conspirators who have something to whisper,’ said Rhoda.)



c’est un passage très court
traité à part
je crois me souvenir que c’est la troisième fois que ce type de parenthèses s’ouvre entre Louis et Rhoda (à vérifier à la relecture totale du texte)
il faut toujours faire attention aux parenthèses de VW
c’est là que parfois arrivent des choses définitives, comme un personnage qui meurt (Mrs. Ramsay dans To the Lighthouse)

une parenthèse ouverte avec donc un statut spécial, de "conspiration", d’aparté entre deux personnages
ce qui, quand on y pense, est formellement étrange
car les voix des personnages des Vagues ne sont jamais "déclaratives" au sens d’exprimées à voix haute
les monologues qui se succèdent (en vagues, par vagues), s’ils tiennent parfois de la description de scènes, sont enfouis (sous l’eau ?) sous une sorte de substance qui éclaircit ce qui est dit, qui apporte aux affirmations "externes" des ligaments internes

en les lisant, on a accès autant à la surface qu’aux profondeurs
on pourrait très bien dire que cet alliage entre ce qui existe aux yeux de tous et ce qui est exprimable pour soi, en soi, donc chaque monologue, chaque voix, est en soi une parenthèse
(un focus sur l’intime d’une pensée au milieu de)

mais le dispositif ici, cette "vraie" parenthèse augmente le zoom
et apporte quelque chose de plus (je tente de trouver quoi, pour mieux le traduire)

comme si le télescope se concentrait sur un point
(pourquoi ?)

déjà, Louis et Rhoda vivent, on vécu une liaison
parmi tous les personnages, ils forment "un couple"

c’est peut-être la solitude qui est examinée ici
les autres sont seuls
empêchés d’être accompagnés
il n’y a pas d’autre couple que Louis et Rhoda
puisque Neville pleure l’absence de Percival
Jinny ne peut qu’invoquer une autre Jinny dans son reflet
Susan est debout, indécise mais sur le départ (vers sa cellule familiale)

les parenthèses inscrivent le duo Louis-Rhoda dans l’espace de la page
elles font comme deux mains qui entourent un visage

le seul qui n’est pas nommé est Bernard
mais sa présence plane pourtant dans
"My face shall be cut against the black of infinite space."
They do not finish their sentences.

(c’est Bernard qui retrouve son profil dans le passage précédent, et c’est lui qui ne finissait pas ses phrases)

(il y a toujours cette hypothèse de voir Les Vagues non pas comme plusieurs personnages avec leur évolution, mais comme un seul, Bernard, celui qui écrit, et se sépare en chemins différents qu’il nommerait Susan, Neville, etc..)

je reprends ma question : pourquoi le télescope est-il concentré sur un/ce point ?
sur un couple ?
je ne vois pas de réponse claire
à part cette question de la solitude, qu’on veut abolir avec/grâce à autrui
et la question du temps

je vois les personnages de Louis et de Rhoda ancrés dans des temps, des rubans de temps large
temps passé (Louis et le Nil, les civilisations qui s’effacent)
temps futurs (Rhoda et les statues qu’on peine à apercevoir de loin et qu’on tente de rejoindre, cette maison qui contient tout)

pendant que Susan, Jinny et Neville sont au supplice du présent qu’on ne peut ni arrêter ni retenir
et que Bernard (l’écrivain) note le tout, avec ses phrases qui montent comme des bulles, des phrases qu’il ne sait pas finir


 ma proposition

(« Pourtant, Louis, dit Rhoda, comme il dure peu, ce silence. Ils commencent déjà à replier leurs serviettes. "Qui s’approche ?" demande Jinny ; et Neville soupire, en se souvenant que Percival ne viendra pas. Jinny a sorti son miroir. Étudiant son visage comme un artiste, elle se repoudre le nez et, après un temps de réflexion, elle peut donner à ses lèvres le rouge précis qu’il leur faut. Susan, pleine de mépris et de peur devant ces préparatifs, boutonne le haut de son manteau puis le re-déboutonne. À quoi se prépare-t-elle ? À quelque chose oui, mais quelque chose de différent. »
« Écoute-les, dit Louis, ils se disent "Il est temps. Je suis toujours vigoureux". Ils se disent "Mon visage se découpera sur le noir de l’espace infini". Ils ne finissent pas leurs phrases. Ils répètent sans cesse "Il est temps. Les jardins vont fermer". En les suivant, Rhoda, et emportés dans leur courant, nous resterons peut-être un peu en arrière.
« Comme des conspirateurs qui ont des secrets à chuchoter, dit Rhoda. »)

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( work in progress )

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

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