TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - serrer

mercredi 13 août 2025, par c jeanney

Puisque j’ai une estafilade à la main, je vais ralentir mes fabrications concrètes, manuelles, car j’ai un peu mal, c’est le moment de retourner vers NT, réellement. Pas en pensées rêveuses, pas comme on entend une musique d’ambiance, mais en l’écoutant fixement. C’est une autre façon de faire. Le truc est de trouver l’équilibre. Se focaliser sans ignorer la vision périphérique. Être dédiée à, sans lâcher l’entour, sans s’isoler, sans se détacher du rocher pris dans la mer vaste, en gardant la conscience de la place fixe et du mouvement autour. Je ne sais pas expliquer ce que je dois faire, mais je le sens. Si je veux en donner l’idée il me faut des comparaisons, physiques, gestuelles, des mouvements et des situations, comme le coquillage collé au rocher qui filtre l’eau, qui est submergé, qui est au sec, et la richesse de ce qui lui arrive (les changements de lumière, le souffle de l’air, les bruits berçants ou qui font sursauter, la mousse, les particules d’algues qui passent, qui sont ralenties, qui se coincent, qui s’éloignent) je la veux aussi. C’est forcément une vue de l’esprit, une tentative, une fiction, car mon cerveau bouche constamment les trous, les manques de ma perception, par exemple mes yeux vont interpréter ce que je vois mal, donner une forme probable à ce que ne reçois que partiellement, ce qui est le cas avec la vision périphérique, je ne ’vois’ pas clairement ce qui ne me fait pas face, mais mon cerveau suppose que le chèvrefeuille à l’extrême perception de ma vue est bien vert et feuillu alors que je ne le capte pratiquement pas, et il va lui donner son aspect habituel. Je ne capte qu’imparfaitement les contours de NT, il faut que je cesse de le laisser en périphérie, dans un à tâtons probable et que je le place au centre. Lire est physique (comme le dit Florence Trocmé dans Effets de la lecture, le flotoir) et écrire l’est aussi, ça va dans les deux sens. Ce que j’écris agit sur mon corps et mon corps agit sur ce que j’écris. J’écris avec la température ambiante, ma faim ou ma soif, mon degré de confort, la qualité du silence ou du bruit qui m’entoure, j’écris encouragée ou traversée par des données physiques et matérielles, d’où l’impact inattendu d’une estafilade à la main, entre deux doigts. Je ne peux plus serrer, saisir, sans le ressentir fortement, et je me demande comment ça va se traduire dans NT. Par capillarité avec mon si bel après-midi d’hier, j’écoute une émission sur Pins and Needles, pièce dans laquelle le premier rôle était tenu par la mère de David Graeber (la semaine, à l’atelier, elle apprenait les paroles des chansons — I used to be on the daisy chain, now I’m a chain store — qu’elle chanterait sur scène le week-end grâce à des antisèches placées dans le tiroir de sa machine à coudre).

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