journal de bord de Kew gardens — épisode 7
dimanche 5 janvier 2025, par
je réalise, arrivée à l’épisode 7 [1]
qu’il m’en faudra 9 (épisodes) pour finir ce journal
il y a la suite du périple de l’escargot et les deux jeunes gens, leur dialogue, leur attitude (épisode 7 et 8)
enfin ce sera le zoom arrière (épisode 9) qui [un verbe] le texte
(je ne sais pas quel verbe mettre, sûrement pas "clore", car ce texte n’est pas fermé, et donc "finir" non plus, je crois que c’est un zoom qui emmène le texte ailleurs, peut-être le verbe "déplacer" alors)
maintenant, l’escargot
le souci est toujours le même, garder la ponctuation, voir ce qu’elle oblige à faire pour suivre la caméra embarquée ici à hauteur de sol
(quand les proportions de taille humaine sont détricotées pour être retricotées à taille gastéropodique
et que du point de vue d’un escargot nos problèmes ont changé d’échelle)
ce que j’aime, et que je n’ai pas vu toute de suite, c’est le changement de structure, ça bouge
jusqu’à présent (épisode 1 à 6) on pouvait faire une sorte de rapport terme à terme, un focus sur un point tenait dans un paragraphe
mais ici, dans le même paragraphe, on glisse de l’escargot aux deux jeunes gens
sans passage à la ligne
c’est une façon de les ramener au même niveau, d’aplatir les changements de perspective, de tailles
cela dit très directement que tout est d’égale importance
(j’ai aussi envie de penser que VW aime installer un dispositif et donner de petits coups d’ongles dedans, pour lui insuffler du mouvement)
pour moi, ce passage de l’escargot aux deux jeunes gens dans le même paragraphe, c’est le début du "mouvement total" de Kew gardens
on a commencé avec des plans fixes (1), les fleurs, l’ovale du massif de fleurs
puis des plans qui suivaient des déplacements, de corps et de pensée, un couple et son passé (2 et 3)
puis dans le massif de fleurs l’escargot, le signe elliptique qui commence (4)
des plans rapprochés surprenants, un vieil homme perturbé (5), le dialogue étrange de deux femmes (6)
et maintenant ça commence à tanguer, à tourner, à suivre la trajectoire imprimée sur une coquille d’escargot justement
on part de sa coquille pour tourner doucement, et tourner, tourner et englober les jeunes gens dans la boucle
la phrase qui me travaille c’est
He had just inserted his head in the opening and was taking stock of the high brown roof and was getting used to the cool brown light when two other people came past outside on the turf.
juste à cause de deux mots
brown dans brown roof
et brown dans to the cool brown light
donc en fait un seul mot, brown, répété deux fois
je veux garder cette répétition, c’est une couleur qui s’étend, d’abord présente dans la feuille morte, puis au cœur de la lumière, une couleur qui bave en quelque sorte
VW ne veut pas cerner, si c’était une peinture il n’y aurait pas d’effet vitrail ici
c’est pourquoi l’adjectif doit rester, et être redit, comme en extension de lui-même, un débordement des frontières
redit à l’identique, si bien que ce ne peut qu’être deux fois "brun" ou deux fois "brune", donc "toit" et "lumière" doivent être du même genre, je change donc "toit" en "toiture" pour obtenir l’adjectif féminin (brune)
j’ai le même souci de la répétition avec
They were both in the prime of youth, or even in that season which precedes the prime of youth, the season before the smooth pink folds of the flower
où il y a deux fois le mot "saison"
je préfère ne pas l’éluder la deuxième fois, parce que redire le mot "saison" l’assoit dans le réel
au début de la phrase, cette saison n’existe pas (comment appelle-t-on la saison qui précède la fleur de l’âge ?), mais le fait de répéter "saison" lui donne une sorte de consistance, comme si on affirmait que malgré tout ce que l’on sait, malgré les données pragmatiques, techniques, cette saison qui ne possède pas de nom existe bel et bien, elle est concrète, elle se voit dans les boutons de fleurs près d’éclater et sur les papillons posés qui emmagasinent la chaleur
en fait, voilà deux répétitions qui donnent deux effets différents
pour brown, le but est d’élargir, on pourrait dire du deuxième brown qu’il s’étend ou s’étale
et pour season, la deuxième fois il se précise, comme on règle son objectif pour obtenir une netteté parfaite sur ce qui n’est pas plus gros qu’une tête d’épingle
et je n’ai pas non plus vu tout de suite le though dans though fully grown
(les ailes de papillons sont capables de fonctionner, pourtant elles ne le font pas tout de suite, pas encore, elles attendent, c’est un moment précieux, comme un baptême, comme un petit instant de gravité avant la première fois, cette unique première fois) (c’est la même chose pour les jeunes gens, nous allons assister à leur unique première fois)
et c’est un dialogue pris sur le vif, 6 phrases
là aussi mystérieux, un dialogue qui rend compte de ce qui ne se dit pas, de ce qui ne peut pas être dit ("O, anything—I mean—you know what I mean.")
le dialogue précédent, celui des deux femmes, était étrange car il ne gardait que les mots utiles, les mots qui servent, ceux qui sont lestés de sens
ici, on ne peut pas, c’est impossible, il n’y a pas de mots pour dire, on n’a que leur enveloppe, floue, sans contours tangibles, c’est un peu comme la couleur brune qui déborde de la feuille à la lumière, les mots se font déborder par des émotions indicibles
j’en arrive à (work in progress) :
L’escargot avait maintenant considéré toutes les méthodes possibles pour atteindre son but sans contourner la feuille morte ni grimper sur elle. En plus de l’effort nécessaire pour grimper sur une feuille, il se demandait si cette matière fine qui vibrait de craquements alarmants à peine touchée du bout des cornes pourrait supporter son poids ; ce qui le poussa finalement à ramper dessous, jusqu’à l’endroit où l’inclinaison de la feuille était assez élevée pour le lui permettre. Il venait d’engager sa tête dans l’ouverture et prenait la mesure de la haute toiture brune en s’habituant à la fraîche lumière brune quand deux autres personnes passèrent sur la pelouse. Cette fois toutes les deux jeunes, un jeune homme et une jeune femme. Tous les deux dans la fleur de l’âge, ou plutôt dans cette saison qui précède la fleur de l’âge, cette saison où les pliures roses et lisses des fleurs n’ont pas encore percé leur enveloppe collante, ce moment où les ailes des papillons, quoiqu’entièrement formées, restent sans bouger au soleil.
« Une chance qu’on ne soit pas vendredi », observa-t-il.
« Pourquoi ? Tu y crois à la chance ? »
« Ils font payer six pence le vendredi. »
« Mais six pence qu’est-ce que c’est ? Ça ne les vaut pas, six pence ? »
« Quoi ça ? – qu’est-ce que tu veux dire par "ça" ? »
« Oh, tout – je veux dire – tu sais bien. »
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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</
[1] The snail had now considered every possible method of reaching his goal without going round the dead leaf or climbing over it. Let alone the effort needed for climbing a leaf, he was doubtful whether the thin texture which vibrated with such an alarming crackle when touched even by the tip of his horns would bear his weight ; and this determined him finally to creep beneath it, for there was a point where the leaf curved high enough from the ground to admit him. He had just inserted his head in the opening and was taking stock of the high brown roof and was getting used to the cool brown light when two other people came past outside on the turf. This time they were both young, a young man and a young woman. They were both in the prime of youth, or even in that season which precedes the prime of youth, the season before the smooth pink folds of the flower have burst their gummy case, when the wings of the butterfly, though fully grown, are motionless in the sun.
"Lucky it isn’t Friday," he observed.
"Why ? D’you believe in luck ?"
"They make you pay sixpence on Friday."
"What’s sixpence anyway ? Isn’t it worth sixpence ?"
"What’s ’it’—what do you mean by ’it’ ?"
"O, anything—I mean—you know what I mean."